La Congrégation de Lyon avait été créée en 1802, en étroite collaboration avec un Père de la foi, le Père Roger, membre d’une société de prêtres qui devait suppléer la Compagnie de Jésus et préparer sa restauration. Avant sa suppression en 1763, celle-ci avait déjà noué des liens à Lyon avec les diverses conditions sociales et professions en mettant en place des congrégations dans de nombreux métiers, même pour les aniers qui venaient chaque jour dans la ville pour en enlever les immondices 1516 . Aussi, dès 1823, le Père Roger fonda une congrégation des ouvriers qui disparut toutefois après quelques mois d’existence et la même année, des membres de la Congrégation des Jeunes Gens furent chargés de venir en aide aux ouvriers frappés par la misère 1517 . Lorsque les Jésuites purent à nouveau avoir une résidence à Lyon à partir de 1832, ils reprirent leurs initiatives : ils établirent en 1843 leur première congrégation, celle des laveuses 1518 dont les associées se réunirent dans une chapelle de l’église de Saint-Paul et, le Père Nègre, prédicateur réputé, établit en 1848, d’abord une congrégation d’ouvriers et de petits marchands puis la Congrégation des Jeunes ouvrières de Notre-Dame de Fourvière, qui s’administra elle-même et réunissait plus de mille membres dès la quatrième année 1519 . Benoît Coste et ses amis congréganistes avaient aussi œuvré en direction du monde du travail en essayant de rétablir la Congrégation des ouvriers qui avait été fondée par le Père Roger et en s’investissant dans l’œuvre des maçons et des Savoyards.
A partir du début des années 1820, les congréganistes s’inquiétèrent du sort des Savoyards qui venaient chaque année à Lyon, à l’approche de l’hiver, pour trouver un travail de ramoneur, décrotteur ou tourneur de meules. La Congrégation a d’abord créé un catéchisme pour les jeunes Savoyards 1520 afin qu’ils préparent leur première communion. Puis, l’essentiel de leurs efforts s’est porté sur les adultes et les congréganistes des deux sections de l’Instruction et de l’Education ont développé l’œuvre des Savoyards en collaboration avec un ami de la Congrégation, l’abbé Cattet, curé de Saint-Paul 1521 . Chaque dimanche, dans la chapelle des Frères des Ecoles Chrétiennes, ce dernier les instruisait 1522 de la religion catholique et les Savoyards pouvaient ensuite participer à des activités. Pour leur part, les congréganistes les visitaient à domicile, distribuaient des livres et établissaient des liens avec les paroisses d’origine où les curés se félicitaient de cette œuvre qui était un moyen de préservation pour leurs montagnes 1523 . Le roi de Piémont-Sardaigne versa une allocation annuelle de 1 500 francs pour l’œuvre des Savoyards, de 1842 à 1860, mais après l’annexion de la Savoie à la France, le gouvernement sarde fit savoir à l’abbé Cattet qu’il ne pourrait plus fournir cette aide et qu’il devait la solliciter du gouvernement français. Aussi l’abbé Cattet écrivit-il à l’empereur Napoléon III pour lui demander de poursuivre l’assistance à cette œuvre, dont il s’occupait depuis quarante ans en s’efforçant de procurer du travail aux Savoyards et de les pourvoir de logements convenables 1524 .
L’œuvre des maçons, le plus souvent Auvergnats, procurait également beaucoup de satisfactions aux congréganistes car il s’agissait de migrants qui conservaient à Lyon leurs mœurs pures et innocentes. Les maçons auvergnats réunis par les congréganistes étaient en nombre comparable à celui des Savoyards, environ 500, mais cette œuvre se maintint difficilement 1525 .
Les congréganistes comptaient aussi sur les ouvriers les plus pieux pour parvenir à mettre sur rail une congrégation des ouvriers. Pour cela, ils prirent contact avec quelques artisans et ouvriers de la Société des Hospitaliers-Veilleurs qui exerçaient des œuvres de charité envers les malades de l’Hôtel-Dieu et les prisonniers. Ces derniers acceptèrent de fonder une société dans le but de procurer la gloire de Dieu et en 1817, la congrégation des ouvriers, ou petite congrégation de l’Immaculée Conception de la ville de Lyon, était fondée 1526 . Les membres de cette congrégation surent se prendre en charge même si leur préfet ne présidait pas toujours le conseil de direction. En effet, ils surent s’opposer aux commissaires de la Congrégation qui voulurent, au moment où ils rédigèrent ensemble un projet de règlement, leur faire prendre le titre de “L’Annonciation de la Sainte Vierge” au lieu de celui de “L’Immaculée conception” donné aux autres congrégations. De plus, au bout de quelques années, ils purent se passer de la présence d’un congréganiste qui avait été désigné par les préfets pour les conseiller et la congrégation des ouvriers, qui eut son directeur spirituel, l’abbé Pater, vicaire de Saint-Louis, prit son essor 1527 .
La congrégation des ouvriers dont Benoît Coste admirait l’humilité et le dévouement des membres, reçut la haute approbation de Mgr de Bonald en 1842 et ses œuvres avaient été enrichies d’indulgences par le pape Léon XII en 1826 1528 . Les membres de cette congrégation agissaient seuls dans les faubourgs et, dans les quartiers de la ville, travaillaient en collaboration avec les autres congrégations en s’occupant plus spécialement des ouvriers. Ils se consacraient à l’instruction religieuse, visitaient les pauvres, et catéchisaient les vieillards. Le préfet de la congrégation des ouvriers contribua à la fondation de la section des “Vieillards” en 1836 en collaboration avec les “Messieurs” : les “ouvriers” assuraient les visites et organisaient les réunions alors que les “Messieurs” assuraient plutôt les instructions 1529 . L’aide de la congrégation des ouvriers fut encore plus précieuse lorsque les “Messieurs” mirent en place la même année la section des “Mariages”, noyau de la société de Saint-François-Régis 1530 . En effet, ces derniers créèrent à cette occasion une “œuvre pour l’instruction des ouvriers chrétiens” appelée aussi “Œuvre des Pères de famille”. Or, seuls, des ouvriers chrétiens zélés pouvaient vraiment entrer en contact avec d’autres ouvriers, car ils parlaient la même langue qu’eux et partageaient le même type de vie. Ainsi, les membres de la congrégation des ouvriers pouvaient dissiper les préventions lors de leurs visites à domicile ; par ailleurs, ils organisaient les réunions pour l’instruction religieuse et assuraient le fonctionnement de la bibliothèque 1531 . L’archevêque, Mgr de Bonald, favorisa l’apostolat de la congrégation des ouvriers au sein de la section des mariages en autorisant les curés à donner des dispenses en cas d’urgence 1532 . L’œuvre des Pères de famille fut installée dans la paroisse Saint-Jean en 1839, où elle rassembla 125 personnes, dans la paroisse d’Ainay en 1840 où, dans le quartier Perrache, les congréganistes étaient particulièrement en contact avec la misère, et dans la paroisse Saint-Polycarpe, l’année suivante 1533 .Le préfet de la congrégation des ouvriers qui soulignait l’ampleur de la tâche dans son rapport du 10 février 1841, précisait que sa congrégation consacrait la moitié de ses membres aux “Pères de famille”. Comme il trouvait les “Messieurs” hésitants, il leur disait que des congréganistes ne pouvaient se dérober lorsqu’il s’agissait de donner le pain matériel et le pain spirituel aux pauvres et que, lorsqu’ils feraient l’exposé de cette œuvre à Mgr de Bonald, celui-ci les aiderait à trouver des moyens auxquels ils ne pensaient pas 1534 . On aimerait mieux connaître les membres de cette congrégation des ouvriers. Ils étaient originaires, probablement, des milieux pauvres de l’artisanat, des quartiers de la rive droite la Saône. S’ils pensaient, comme les “Messieurs”, que les pauvres pouvaient se sanctifier par la patience, ils avaient toutefois une conscience plus aiguë de la misère matérielle de ces derniers.
La Congrégation pouvait aussi entrer en contact avec les jeunes ouvriers par le biais des catéchismes de persévérance organisés dans certaines paroisses le dimanche « afin d’entretenir en eux le sentiment de piété qu’une éducation chrétienne et les grâces reçues de la première communion y ont fait éclore” 1535 . Nous avons indiqué que les représentants les plus zélés à ces catéchismes, pouvaient ensuite former de petites congrégations appelées “Sociétés de Saint Louis de Gonzague” 1536 , qui furent dynamiques au milieu des années 1840. Mais elles se trouvaient aussi en concurrence à cette époque avec des œuvres créées en dehors de la Congrégation et qui ne se contentaient pas, pour christianiser les ouvriers, “d’exhortations édifiantes”, mais proposaient “l’étude des sciences” 1537 . Il est fait, ici, clairement allusion à la société de Saint-François-Xavier lorsque sont évoquées ces réunions présentant “un attrait que la nôtre n’offre pas, tenues par les Frères des Ecoles Chrétiennes et celles organisées aux Brotteaux par une société pieuse et charitable qui joint l’instruction” 1538 aux paroles de religion. En effet, la société de Saint-François-Xavier, introduite à Lyon en 1844, est alors en pleine expansion 1539 . L’état de l’œuvre présenté dans un mémorial à la fin de l ‘année 1845 évoque bien ces réunions très nombreuses tenues aux Lazaristes, dans l’église des Frères des Ecoles Chrétiennes et l’organisation de l’œuvre à Saint-Pothin, dans le quartier des Brotteaux 1540 . La Congrégation était donc en concurrence avec d’autres sociétés catholiques qui, dans les années 1840, se préoccupèrent du monde ouvrier. Parmi ces dernières, figurait celle qui fut promise à un long avenir, la Société de Saint-Vincent-de-Paul.
Benoit COSTE, Histoire de la Congrégation (1802-1840), première partie : 1802-1820, 365 p. (pp. 350-351), I 227, CM 11, A.A. de Lyon.
J.C. BAUMONT, “Une association de laïques catholiques : la Congrégation de Lyon ”…, p. 526.
Les laveuses travaillaient dans de vastes bateaux lavoirs amassés le long des quais du Rhône et de la Saône. (J. BURNICHON, La Compagnie de Jésus en France, T. 2 …, p. 286).
J. BURNICHON, La Compagnie de Jésus en France, T. 3 : 1845-1860, Beauchesne, 1919, 637 p. (pp. 162-163). Au départ, le Père Nègre avait remarqué les jeunes ouvrières lyonnaises qui, à l’occasion du mois de Marie, gravissaient chaque jour la colline de Fourvière. Par la suite, il réunit, le 16 juillet 1848, une vingtaine d’entre elles dans la chapelle de Fourvière et leur proposa la fondation de cette congrégation qui essaima dans d’autres paroisses.
A Paris, la “Société des bonnes œuvres”, filiale de la Congrégation, s’était préoccupée également de catéchiser les jeunes ramoneurs venus de Savoie ou d’Auvergne. (J. B. DUROSELLE, “Les filiales de la Congrégation”, Revue d’histoire ecclésiastique, T. 50, vol. n°4, 1955, p. 868).
J.C. BAUMONT,“Une association de laïques catholiques : la Congrégation de Lyon ”…, pp. 518-519.
L’abbé Callot, futur évêque d’Oran, assura aussi les instructions : le rapport de la section de l’Education de 1844 indique que plus de 400 Savoyards, inscrits sur les listes de la Congrégation, sont venus entendre ses instructions (Activité des sections, I 233, A.A. de Lyon).
J.C. BAUMONT, “Une association de laïques catholiques : la Congrégation de Lyon ”…, pp. 518-519.
Lettre du 27 novembre 1860 (œuvre des pauvres Savoyards – fonctionnement : 1860-1861, 744 WP 076, A.M. de Lyon). L’allocation de mille francs accordée par le ministre de l’intérieur a rendu l’abbé perplexe, car il s’est demandé s’il s’agissait d’une somme définitive (lettre de l’abbé Cattet au préfet du Rhône du 4 août 1861 : mêmes références).
Le rapport de la section de l’Education de 1855 indiquait que Mgr de Bonald souhaitait la reconstitution de l’œuvre des maçons (I 233, A.A. de Lyon).
Benoît COSTE, Histoire de la Congrégation (1802-1840), première partie : 1802-1820 …, pp. 351-353 et règlement de la petite congrégation de l’Immaculée-Conception de la ville de Lyon, fondée en 1817, qui a été mis à jour en 1888, I 227, A.A. de Lyon.
Benoît COSTE, Histoire de la Congrégation (1802-1840), première partie : 1802-1820 …, pp. 353-355.
Règlement de la petite congrégation.
Benoît Coste fait remarquer que seule, une minorité d’hommes, dans la congrégation des ouvriers, pouvait assurer l’instruction religieuse (J.C. BAUMONT, “Une association de laïques catholiques : la Congrégation deLyon” …, p. 527).
La section des mariages qui avait le souci de fournir une instruction religieuse avant le mariage et de suivre les “nouveaux mariés” par des visites à domicile avec le concours de la Congrégation des Dames, a permis la célébration d’environ 400 mariages annuels au cours des années 1847, 1848 et 1849. (J.C. BAUMONT, “Une association de laïques catholiques : la Congrégation de Lyon”…, p. 518 et comptes-rendu des assemblées de la Congrégation (1849-1852), I 230, A.A. de Lyon).
J.C. BAUMONT, Une association de laïques catholiques : la Congrégation de Lyon …, p. 527.
Compte-rendu des assemblées de la Congrégation (1849-1852), I 230, A.A. de Lyon.
J.C. BAUMONT, “Une association de laïques catholiques : la Congrégation de Lyon ”…, p. 527.
Ibid., p. 528.
Rapport de la section de l’Instruction (1844-1845) présenté à Mgr de Bonald, I 233, A.A. de Lyon.
Voir dans le chapitre 4, le paragraphe consacré à la Congrégation.
Conclusion du rapport concernant les œuvres de la section de l’Instruction (1844-1845) …, I 233, A.A. de Lyon.
Ibid.
Nous étudierons le rôle important qu’a joué cette société dans le chapitre 9.
Mémorial religieux, scientifique et littéraire publié par un comité catholique en faveur de l’œuvre de Saint-François-Xavier, T. 1, première livraison, Lyon, 1847, 432 p. (pp. 7-19) : B.N.F., Z 54960.