Nous avons déjà remarqué qu’au début du siècle, on ne notait pas de signe majeur de désaffection des ouvriers à l’égard de l’Eglise catholique du diocèse. De même, lors des émeutes de novembre 1831 et avril 1834, les insurgés respectèrent les lieux du culte et les prêtres 1835 . Lamennais et Montalembert, qui ont séjourné à Lyon à la fin de novembre 1831, soulignèrent, comme Pauline Jaricot, leur esprit religieux. Lamennais évoque des canuts, prosternés sur le pavé d’une église solitaire afin de prier 1836 et Montalembert relate leur refus de s’en prendre aux séminaires comme le leur suggéraient des gardes nationaux ; ils leur répondirent en criant : “Non, non, vive la religion, vive les prêtres, ce sont eux qui nous ont nourris l’hiver dernier 1837 ”.
Toutefois, les années 1830 ont vu aussi les canuts et d’autres ouvriers se rapprocher des partis républicains et s’intéresser aux idées des théoriciens socialistes utopiques, saint-simoniennes ou fouriéristes. Ainsi, ont-ils été amenés à exercer un fort esprit critique à l’égard des dogmes catholiques et de la façon dont le clergé appliquait l’évangile. Mais les divers témoignages montrent, tout de même, que la pratique religieuse est restée globalement importante au cours des années 1840, dans les paroisses ouvrières de Lyon et des autres villes du diocèse. Parmi les témoignages, celui de Flora Tristan, de passage à Lyon au printemps 1844, est particulièrement convainquant, car, à cause de son hostilité à l’Eglise, elle se montre agacée, lorsqu’elle constate, le dimanche 12 mai, que “toutes les églises sont remplies de peuple 1838 ”. De son côté, Frédéric Ozanam affirme que les familles pauvres de Lyon visitées par ses amis conférenciers et par lui-même, ont des habitudes chrétiennes, que “la foi est partout, mais languissante, que la pratique est encore observée, mais souvent sans intelligence 1839 ”. Pour sa part, le prédicateur Mariste, Pierre-Julien Eymard, a conclu, après des processions de la Fête-Dieu admirables de recueillement à Lyon, en 1845, que le peuple avait encore de la religion dans le cœur 1840 . Ces processions qui avaient lieu les deux dimanches de juin suivant la Fête-Dieu, revêtaient une grande ampleur et l’ensemble de la population lyonnaise y participait, ne serait-ce qu’en décorant les maisons de tentures 1841 .
Les témoignages soulignant que les ouvriers de Lyon avaient gardé leurs habitudes religieuses, ne concordent pas avec l’avis de Proudhon qui, présent dans la ville au milieu des années 1840, prétend que le peuple a abandonné l’Eglise et que de nombreuses familles lyonnaises ont rompu tous les liens avec cette dernière 1842 . Certes, comme l’indique le canut Joseph Benoît, communiste babouviste, des ouvriers gagnés par le socialisme, s’opposaient au clergé catholique en refusant de faire baptiser leurs enfants 1843 ; mais il s’agissait d’une minorité et les comptes-rendus des visites pastorales montrent également que dans la majorité des paroisses à fort peuplement ouvrier, un bon esprit religieux s’est maintenu. Si à la Guillotière, en 1836, règnent l’impiété et l’irréligion 1844 , la situation s’est améliorée dans la paroisse Saint-Pothin, aux Brotteaux, où la moralité est généralement bonne. Si un quartier comme Perrache semble, en 1840, impénétrable 1845 , les curés des paroisses de la Croix-Rousse sont assez satisfaits : à Saint-Bruno-des-Chartreux, il y a de la piété même parmi les hommes et une bonne moitié de la paroisse fréquente les sacrements 1846 ; à Saint-Eucher, paroisse récente, créée en 1841, sur une partie du territoire de celle de Saint-Denis, la moralité gagne tous les jours depuis l’établissement de l’église en 1842 1847 , quant à Saint-Denis, paroisse qui reste très peuplée avec 22 000 habitants, le curé fait la distinction entre ses paroissiens habituels qui sont religieux, contrairement aux ouvriers de passage 1848 .
A Saint-Etienne, le 23 juin 1844, Flora Tristan a constaté, comme à Lyon, que la cathédrale 1849 était “comble et de peuple principalement”. Dans la ville, au cours de la première moitié du XIXe siècle, les rites religieux de passage concernant le baptême, la première communion, le mariage et l’enterrement, demeuraient profondément enracinés dans les mentalités populaires 1850 . A l’image de ce que nous avons constaté pour Saint-Chamond, le clergé des paroisses de Saint-Etienne et des autres localités ouvrières du bassin houiller, à l’ouest et à l’est de la ville, montrait sa satisfaction, avec une unanimité beaucoup plus marquée qu’à Lyon. Une bonne moralité est signalée pour les quatre paroisses de Saint-Etienne visitées en 1842 et 1849 1851 , et pour Saint-Jean-Bonnefonds, la paroisse voisine de celle de Sainte-Barbe, à l’est de la ville, le curé précise que la plus grande partie de la paroisse remplit ses devoirs religieux 1852 . Les autres paroisses de la dépression houillère, de Firminy à Rive-de-Gier, visitées en 1842, 1845 et 1849, sont qualifiées également de “bonnes” ou “généralement bonnes” 1853 . Le maintien de l’esprit religieux dans ce milieu urbain à majorité ouvrière peut s’expliquer par la fidélité à un esprit artisanal : ainsi, les tisseurs de Saint-Etienne sont restés longtemps fidèles à des confréries, comme la société des passementiers de Valbenoîte, reconstituée en 1849, qui organisait des fêtes religieuses ou les funérailles de ses membres 1854 . On peut l’expliquer aussi par l’influence exercée par une bourgeoisie pratiquante et surtout par les liens étroits établis entre le “pays noir” et le milieu rural chrétien traditionnel des montagnes avoisinantes dont étaient originaires un grand nombre de migrants. En tout cas, la religion populaire restait très vivante à Saint-Etienne et s’exprimait en particulier à travers le culte marial. Ainsi, dans la paroisse Notre-Dame, l’archiconfrérie de Notre-Dame-des-Victoires fondée en 1841, connut un grand succès, puisque dans une paroisse de 10 000 habitants, elle réunissait 6 200 sociétaires dont 2 000 hommes. Ceux-ci se faisaient un honneur de porter la médaille miraculeuse exigée par les statuts et d’après le curé de la paroisse, “jamais les sacrements de Pénitence et de l’Eucharistie n’avaient été fréquentés comme cette année (1842)” 1855 .
En dehors des régions lyonnaise et stéphanoise, les villes ouvrières du diocèse les plus importantes comme les centres textiles de Roanne et Tarare qui rassemblaient 11 000 habitants au milieu des années des années 1840,montraient aussi un attachement vivace au catholicisme 1856 . Le monde ouvrier du diocèse restait donc très attaché à la religion catholique sous la monarchie de Juillet, mais cet attachement pouvait être variable selon le milieu de travail.
Le métier masculin des rubaniers stéphanois et des canuts lyonnais est celui qui a pris le plus de distance par rapport à l’Eglise, même si chez ces rubaniers, on trouvait des croix et des représentations de la Vierge et des saints 1857 . En effet, les réponses à la question de l’enquête de 1848 portant sur l’état de l’éducation morale et religieuse montrent que les chefs d’atelier accordaient plus d’importance à l’éducation morale et à la moralité qu’à la pratique extérieure du culte. Ainsi, Limousin, délégué des chefs d’atelier pour la spécialité des rubans façonnés, à Saint-Etienne, affirme que les hommes observent peu les pratiques extérieures, mais “si on entend par religion les sentiments de l’existence de Dieu, de l’amour de ses semblables et de la justice, dans ce dernier cas, il y a beaucoup de religion” 1858 . On retrouve la même distance par rapport à la religion enseignée dans un autre secteur de la Fabrique, celui des ouvriers teinturiers de Lyon : “Quelques-uns pensent qu’on cultiverait mieux la religion, si on avait moins de pratiques superstitieuses et si la morale prêchée dans les temples de Dieu se rapprochait plus des occupations des travailleurs 1859 ”. Le délégué des ouvriers relieurs de livres à Lyon relève au contraire une “éducation religieuse qui se borne à des pratiques de dévotion” ; mais, il s’agit en majorité d’ouvrières et il précise que tous “n’ont que ce moyen pour se faire bien voir des libraires ecclésiastiques et des ecclésiastiques eux-mêmes 1860 . Le plus souvent, les réponses des délégués, en particulier au sein de l’élite ouvrière instruite comme celle des chefs d’atelier de la Fabrique, sont donc critiques à l’égard de l’Eglise 1861 ; ces réponses insistent aussi sur la moralité, l’honnêteté et l’attention de l’ouvrier pour ses semblables. Reybaud 1862 confirme cette mentalité chez le canut : le curé de Saint-Vincent-de-Paul, paroisse sur les hauteurs de la Grand’Côte, presque exclusivement peuplée d’ouvriers en soie, lui a raconté qu’un ouvrier avait refusé un don et avait suggéré au prêtre d’en faire bénéficier sa dévideuse qui manquait de pain depuis trois jours.
Chez les mineurs de la Loire, si l’éducation morale et religieuse est en retard 1863 , ils vont généralement à la messe le dimanche, mais ils ont la réputation d’avoir des mœurs brutales et déréglées et d’être superstitieux : pour se protéger de la mort subite, les mineurs de Saint-Etienne célèbrent avec entrain la sainte Barbe, le 4 décembre, et conservent à la “recette” des puits, un petit oratoire avec une statue de leur patronne 1864 .
On trouvait aussi un esprit religieux parmi les ouvriers de la métallurgie, lorsque prévalait un paternalisme bien accepté, comme c’était le cas dans l’usine Petin et Gaudet de Rive-de-Gier. En 1849, à l’occasion de sa venue à Rive-de-Gier pour la confirmation, Mgr de Bonald, admiratif devant les progrès de l’industrie et plein d’attention pour le monde ouvrier, voulut visiter l’usine. Les deux patrons l’accompagnèrent et le cardinal se réjouit surtout de voir sur le visage des ouvriers, les marques de leur respect et l’indice de la joie que la visite du pasteur leur apportait. Lorsque la visite fut terminée et que l’archevêque arriva à la porte de sortie, suivi de la foule des ouvriers, il se tourna vers eux et annonça qu’il allait leur donner ainsi qu’à l’usine, sa bénédiction épiscopale. Alors, tous les ouvriers ployèrent les genoux et inclinèrent leur front 1865 .
Le milieu de travail le plus favorable à l’Eglise, dans l’usine ou dans l’atelier, était assurément celui des ouvrières. Il faudra attendre la fin du siècle pour que les comptes-rendus des visites pastorales mentionnent précisément le comportement plus chrétien des femmes, mais de nombreux autres témoignages montrent que la pratique religieuse et la fréquentation des sacrements était plus importante chez les ouvrières. Ainsi, l’œuvre des Saintes Familles de la société de Saint-Vincent-de-Paul, rassemblait, lors des messes célébrées pour les pauvres, deux tiers de femmes pour un tiers d’hommes 1866 . Sur le lieu de travail, dans la plupart des ateliers lyonnais, les ouvrières étaient chargées de décorer la statue de la Vierge avec leur argent et elles récitaient des prières à la Vierge en entrant et en sortant 1867 . Dans les ateliers stéphanois, Flora Tristan a remarqué également qu’il y avait un petit autel de la Vierge, aux frais des ouvrières qui, dit-elle, étaient très dévotes 1868 . Une grande piété n’était pas rare chez les ouvrières : le Père Eymard n’a-t-il pas accepté de créer une branche féminine du Tiers-ordre de Marie, à Lyon, les “Vierges chrétiennes”, sur la demande de Marguerite Guillot qu’il avait rencontrée lors de sa prédication de carême, à la chapelle de la Charité, et qui travaillait dans un atelier de repassage 1869 . Certaines ouvrières trouvaient aussi qu’il était de leur intérêt de se montrer bonne catholique, comme cette ourdisseuse qui avait des liens avec la Compagnie de Jésus et qui expliquait à un tisseur de soie lyonnais que, lorsqu’elle tomberait malade, l’Eglise l’aiderait un peu, tandis qu’“avec vos républicains, on ne reçoit que la misère et le mépris des riches 1870 ”. Finalement, les ouvrières étaient plus fidèles à la religion catholique que leurs homologues masculins, même si ces derniers avaient souvent maintenu une pratique extérieure de cette religion. En fut-il de même sous le second Empire 1871 ? Y eut-il alors un détachement des ouvriers par rapport à l’Eglise ?
En avril 1849, les processions de premiers communiants, à la Croix-Rousse, furent troublées par des cris désapprobateurs, surtout au moment où les ecclésiastiques sont passés 1872 . Deux mois plus tard, lors des événements sanglants de juin dans le faubourg, après que les canuts, qui croyaient à un soulèvement parisien aient élevé des barricades, ceux qui furent internés au fort de la Vitriolerie, eurent l’occasion de montrer leur estime à l’égard d’un prêtre proche du peuple, l’abbé Faivre. Comme ce dernier avait réussi à faire acquitter un des prisonniers, les autres détenus lui écrivirent en soulignant le respect qu’ils avaient pour lui et en précisant qu’ils étaient des républicains sincères, mais qu’ils n’étaient pas athées 1873 . Il est donc confirmé que les ouvriers en soie adhéraient plus à un déisme qu’au catholicisme ; quant au respect pour le prêtre, il continuera à se limiter, semble-t-il, à une minorité du clergé, sous le second Empire, car les ouvriers reprocheront à l’Eglise de Lyon de s’être ralliée au régime autoritaire de Napoléon III 1874 .
Audiganne, qui a fait son enquête à Lyon au cours des années 1850, affirme que les habitudes religieuses des canuts ont beaucoup plus perdu de terrain que la vie de famille et, qu’en temps ordinaire, les ouvriers lyonnais se méfient et s’éloignent du clergé 1875 . Le découragement et l’impuissance ressentis par les confrères de la société de Saint-Vincent-de-Paul de Lyon face à cette attitude fréquente des ouvriers, sont révélateurs d’un détachement qui s’opère par rapport à la religion catholique. Ainsi, lors de la troisième session du Conseil central de Lyon du 20 mai 1855, les confrères ont débattu sur les moyens d’exercer une influence religieuse et morale sur les ouvriers d’usines, de manufactures ou de grands ateliers et ont fait les constats suivants : les principes chrétiens ont disparu chez un grand nombre d’ouvriers et ont fait place à l’incrédulité ; d’autre part, les ouvriers ne peuvent supporter le moindre enseignement religieux tant ils ont l’esprit froissé par de mauvaises doctrines 1876 . Dans les années 1860, quand le prix du pain augmentait, les ouvriers en faisaient le reproche au parti clérical et, quand il y avait du chômage, ils accusaient le clergé de fournir de l’aide seulement à ceux qui allaient à l’église 1877 A la fin du second Empire, l’augmentation du nombre d’enterrements civils dans les milieux populaires lyonnais, prouve une intensification de l’anticléricalisme. L’hebdomadaire libre-penseur de l’agglomération, “L’Excommunié”, ne parvient même plus à les rapporter tous en détail, comme il le faisait jusque là, dans un but de propagande 1878 . Les causes de l’intensification de l’hostilité à l’Eglise étaient diverses, causes politiques aussi bien qu’économiques et culturelles, comme on le verra par la suite, mais intervenait également le problème posé au clergé par les rites du compagnonnage. Il semble bien, en effet, que Mgr de Bonald et le clergé à sa suite, n’aient pas accepté, à partir de 1866, l’apposition sur le drap funéraire de symboles du compagnonnage, communs avec ceux de la franc-maçonnerie, comme le compas et l’équerre 1879 .
A Saint-Etienne, le détachement des ouvriers par rapport à l’Eglise apparaît moins marqué et plus tardif. Audiganne affirme que les églises ne sont pas désertées, comme à Lyon, par la population laborieuse. D’autre part, si on va à l’église par habitude et routine et si on n’en rapporte aucun enseignement pour la conduite de la vie, du moins “les oreilles ne sont pas fermées à l’enseignement religieux qui peut finir par trouver le chemin des cœurs 1880 ”. A la fin des années 1860, les rapports des commissaires de police confirment l’assistance à la messe dans les paroisses du centre ville et à Montaud où “en temps de carême, les églises sont pleines de monde” ; mais, il est question d’un public peu religieux et dont la majeure partie n’est là que “pour spéculer sur la charité mal entendue du clergé, d’accord avec celle des bureaux de bienfaisance 1881 ”. A la périphérie de la ville, la pratique religieuse est moins importante 1882 et les délais de baptême s’allongent : vers 1870, le délai de trois jours entre la naissance et le baptême est beaucoup moins respecté dans la paroisse de Sainte-Barbe, peuplée en majorité par des mineurs ou dans celle de Saint-François, qui lui a été détachée en 1858, que dans les paroisses centrales comme celle de Notre-Dame ou celle de Saint-Etienne 1883 .
Ce détachement des ouvriers par rapport à l’Eglise, constaté à Lyon et à Saint-Etienne, sous le second Empire, doit être un peu relativisé si on pense à ceux qui vivaient au cœur des deux grandes villes, où jouaient un bon encadrement du clergé et une forte influence des notables catholiques. Ainsi, le congréganiste Prosper Dugas, qui prit une part au placement des emprunts du Saint-Siège, trouva des donateurs parmi les ouvriers, pour son “Œuvre de Saint-Pierre”. Le 9 mai 1860, il reçut un Bref du pape Pie IX, qui, non seulement exprimait sa reconnaissance à l’égard de l’ensemble des Lyonnais qui l’avaient aidé financièrement et moralement, mais, en particulier, à l’égard des ouvriers qui avaient préféré “souffrir et se priver du nécessaire plutôt que paraître ne prendre aucune part aux afflictions et aux angoisses du Père commun des fidèles … 1884 ”. De plus, il reste dans d’autres centres ouvriers du diocèse, des paroisses qui donnent satisfaction à leur curé, comme Izieux, au sein du bastion catholique de Saint-Chamond, visitée par Mgr de Bonald en 1860 1885 . Par ailleurs, même quand il y a détachement par rapport à l’Eglise et à ce qu’elle prescrit, le peuple des villes continue à participer, de près ou de loin, aux principales fêtes et manifestations religieuses. Pensons ici aux enfants des canuts, qui continuent à faire leur première communion 1886 , à la décoration des maisons lors de la Fête-Dieu, à la participation aux pèlerinages de Valfleury ou Saint-Genest-Lerpt 1887 , de même qu’aux illuminations du 8 décembre, à Lyon, à partir de 1852 1888 .
Ce chapitre nous aura montré que les laïcs de la Congrégation ont non seulement été un des facteurs du maintien de la vie religieuse à Lyon, mais ont tissé des liens avec le monde du travail, en particulier avec les immigrants savoyards. En fondant une congrégation des ouvriers, ils étaient surtout à la recherche d’une élite pieuse et, de ce fait, leur emprise sur les ouvriers lyonnais fut limitée. A partir de 1836, les Congréganistes se trouvèrent en concurrence, pour la visite des pauvres à domicile, avec les confrères lyonnais de la société de Saint-Vincent-de-Paul. Frédéric Ozanam, qui avait été un fondateur de la Société à Paris, présida la première conférence du diocèse dans la paroisse Saint-Pierre à Lyon, et la trentaine de conférences qui apparurent ensuite, reçurent un soutien marqué de l’archevêque, Mgr de Bonald. A la différence des congréganistes, les confrères n’appliquaient pas la loi du secret et tenaient à leur autonomie, surtout à Lyon, par rapport au clergé ; mais ils pratiquaient le même type de charité chrétienne à l’égard de ceux qu’ils visitaient et recherchaient aussi leur propre sanctification. Plus conscients du problème posé par la pauvreté ouvrière que les congréganistes, les confrères lyonnais de la société de Saint-Vincent-de-Paul mirent en place des œuvres originales comme celle des “Voyageurs”, qui aidait les personnes indigentes devant effectuer de longs trajets et ils firent plusieurs tentatives pour patronner les jeunes ouvriers. Il finirent par adopter, au cours des années 1860, une solution similaire à celle du patronage de l’abbé Monnier à Saint-Etienne, consistant à ne pas isoler les jeunes apprentis de leur milieu de travail, tout en leur donnant une éducation chrétienne et en leur permettant de se détendre. La congréganiste lyonnaise, Pauline Jaricot, exerça, quant à elle, son apostolat, surtout auprès des jeunes ouvrières et celui-ci fut plus ambitieux. En effet, elle voulut travailler avec ses collaboratrices pour la rechristianisation de la France et, grâce au sou par semaine qui alimentait l’Œuvre de la Propagation de la Foi, elle s’efforça aussi d’aider les missionnaires à sauver les âmes dans les pays lointains. Certaines zélatrices de l’Œuvre, comme les ouvrières en soie appelées par le curé de Couzon-au-Mont-d’Or pour fonder une congrégation, devinrent même, plus tard, des religieuses missionnaires. Pour parfaire la mission en vue de la conversion de la France et des autres pays chrétiens, une nouvelle œuvre à vocation universelle, celle du Rosaire Vivant, fut fondée, cette fois, à la seule initiative de la jeune lyonnaise. Pauline Jaricot, aidée par ses anciennes collaboratrices et soutenue par Rome, réussit la gageure de fonder une association de prière qui regroupait en 1834, huit ans après sa création, plus d’un million d’associés en France, informés régulièrement par des circulaires. En relation avec de jeunes ouvrières pauvres et avec des personnes de divers milieux sociaux qu’elle rencontrait au siège de son association, sur les pentes de Fourvière, Pauline Jaricot conçut le projet, plus ambitieux encore, à partir du Rosaire Vivant, de rassembler riches et pauvres dans une même famille chrétienne. Les insurrections des canuts au cours desquelles elle compatit avec les insurgés et fut, surtout en 1834, au cœur de l’affrontement, la confirmèrent dans son désir de rapprocher ses concitoyens. Ces derniers, comme les autres habitants du diocèse, catholiques dans leur grande majorité, étaient, suivant leur milieu de vie et de travail, plus ou moins proches de l’Eglise. Sous l’épiscopat de Mgr de Bonald, les bastions catholiques du diocèse se trouvaient dans les paroisses rurales de montagne, en particulier dans le massif du Pilat et les Monts du Forez où prêtres, religieux et religieuses, dont le nombre a augmenté, vivaient en symbiose avec le monde paysan. Des pays de chrétienté existaient aussi dans le bassin houiller stéphanois : à Saint-Chamond, de bonnes relations se sont établies entre l’Eglise, des notables philanthropes et les ouvriers. C’est dans les villes du val de Saône et dans certains quartiers de la métropole lyonnaise qu’on rencontrait le plus d’indifférence ou d’hostilité à l’égard de l’Eglise, parmi les négociants en vin, les rouliers, les journalistes, les tisseurs de Lyon et de Saint-Etienne …Quant aux fidèles les plus pratiquants et les laïcs les plus engagés dans les œuvres catholiques, on trouvait les premiers dans le monde rural et les seconds, surtout au cœur des grandes villes : des fabricants, des avocats … associés souvent avec leur femme ou leur fille, rivalisaient de zèle avec des ouvrières en soie qui manifestaient leur piété en rendant un culte à la Vierge dans l’atelier où elles travaillaient. Si les femmes furent le plus fidèle soutien à l’Eglise du diocèse, il n’en fut pas de même des ouvriers de la Fabrique, qui la contestèrent surtout à cause de ses établissements de bienfaisance pour les enfants abandonnés, appelées providences.
Certains prêtres offrirent refuge aux insurgés ou participèrent, comme l’abbé Nicod, curé de la Croix-Rousse, aux collectes en faveur des blessés, des veuves et des orphelins. Le journal “L’Echo de la Fabrique” complimenta ce dernier à plusieurs reprises. (FERNAND RUDE, “Biographie de Claude Nicod” in Dictionnaire du monde religieux …, T. 6 Le Lyonnais …, p. 317).
B. PLESSY et L. CHALLET, La vie quotidienne des canuts …, p. 226.
Article publié par Montalembert dans “L’Union bretonne” en 1832 et intitulé : “Lyon en 1831”. (Cité par G. CHOLVY, Frédéric Ozanam …, p. 167).
Elle a remarqué par ailleurs, l’ennui des fidèles au cours de la messe et elle explique la forte pratique dominicale par le joug du clergé et des religieux sur la bourgeoisie ; or, celle-ci, le supporte, dit-elle, parce qu’ainsi, elle peut tenir le peuple dans la résignation. (F. TRISTAN, Le tour de France …, T. 1 … , pp. 126-128).
Rapport des œuvres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul à Lyon, du 27 avril 1838, envoyé pour l’assemblée générale à Paris. (Archives de la Société à Paris, département du Rhône, dossier Ozanam).
André GUITTON, Pierre-Julien Eymard, apôtre de l’Eucharistie …, pp. 83-84.
Lors de la première Fête-Dieu lyonnaise de Mgr de Bonald, en 1841, la procession parcourut toute la ville. Mais, généralement, chacune des paroisses avait sa procession qui faisait le circuit des reposoirs installés sur les quais et les places ; celle de la primatiale Saint-Jean était particulièrement grandiose. (V. ROBERT, Les chemins de la manifestation …, pp. 62-63 et 138).
Laura STRUMINGHER, Women and the making of the working class : Lyon 1830-1870 …, p. 53.
Joseph BENOIT, Confessions d’un prolétaire, Lyon, 1871, présentées par Maurice MOISSONNIER, 1968, Editions sociales, 310 p. (pp. 75-76).
G. CHOLVY et Y. M. HILAIRE (dir.), Histoire religieuse de la France – Géographie XIX e -XX e siècle …,p. 80.
Ibid., p. 80.
Visite pastorale du 7 juin 1841 (A.A de Lyon, I 127).
Visite pastorale du 8 juin 1846 (I 128) et D. BERTIN, J.F. REYNAUD, N. REVEYRON, Guide des églises de Lyon, Editions lyonnaises d’art et d’histoire, 2000, 96 p. (p. 83).
Visite pastorale du 28 mai 1844 (I 128).
Sans doute fait-elle allusion à l’église de la paroisse Saint-Etienne, appelée Grand’ Eglise (F. TRISTAN, Le Tour de France …T. 1…, p. 213).
Toutefois, le concubinage pour les plus pauvres et les immigrants ignorants des démarches à accomplir est assez fréquent puisque la Société Saint-François-Régis a été à l’origine de un sixième à un septième des mariages célébrés dans l’année, entre 1844 et 1849. (O. MARTIN, Un catholicisme urbain au XIX e siècle : Saint-Etienne de 1801 à 1814 …, pp. 64-65).
Les paroisses de Notre-Dame, de Valbenoîte et de Saint-Etienne ont été visitées respectivement les 18, 19 et 20 avril 1842. Celle de Saint-Barbe, dans le quartier de mineurs du Soleil, l’a été le 22 avril 1849, peu de temps après la construction de l’église (I 127).
Visite pastorale du 12 avril 1842 (I 127).
Il s’agit, dans la vallée du Gier, des paroisses de Rive-de-Gier (5 juin 1845), Saint-Genis-Terrenoire (8 juin 1845) et Saint-Paul-en-Jarez (9 juin 1845) et, dans la vallée de l’Ondaine, des paroisses de Firminy (14 avril 1842), Le Chambon-Feugerolles (15 avril 1842), Saint-Genest-Lerpt (27 avril 1849), La Ricamarie (28 avril 1849) et Unieux (30 avril 1849), A.A de Lyon, I 127, I 128.
N. VERNEY-CARRON, Le ruban et l’acier …, pp. 242 et 243.
Cité par O. MARTIN, Un catholicisme urbain au XIX e siècle : Saint-Etienne de 1801 à 1814 …, pp. 70-71. L’archiconfrérie de Notre-Dame-des-Victoires fondée à Paris en 1838, connut une large diffusion en France (p. 70).
G. CHOLVY et Y. M. HILAIRE (dir.), Histoire religieuse de la France – Géographie XIX e -XX e siècle …,p. 80.
F. TRISTAN, Le Tour de France …, T. 1 …, p. 220.
A. LIMOUSIN, Enquête industrielle et sociale des ouvriers et des chefs l’atelier rubaniers …, pp. 42-43.
A.N. C 963. Rhône – Réponses du sixième canton de Lyon.
Janine CHARON-BORDAS, Ouvriers et paysans au milieu du XIX e siècle. L’enquête sur le travail de 1848 …, p. 403.
Voir aussi le contenu des journaux ouvriers comme “L’Echo de la Fabrique” que nous avons évoqué dans le chapitre 5 à propos de l’intensification du mouvement d’association des ouvriers après 1831.
Louis REYBAUD, Etudes sur le régime des manufactures – condition des ouvriers en soie, édit. Lévy, 1859, 396 p. (p. 176).
Réponses des délégués du Chambon-Feugerolles et de Rive-de-Gier à la question portant sur l’état de cette éducation (Enquête sur le travail de 1848, A.N. C 956 – Loire).
Articles du “Journal de Saint-Etienne”, paru en 1845, cités par O. MARTIN, Un catholicisme urbain au XIX e siècle : Saint-Etienne de 1801 à 1814 …, pp. 68-69.
Lorsque Jean-Marie Gaudet raconta cette visite, trente ans plus tard, il expliqua combien avait été profonde l’émotion qu’il avait ressentie dans cette circonstance de sa vie : témoignage de Jules DU CHEVALARD, Notice biographique sur Jean-Marie Gaudet, ancien maître de forges à Rive-de-Gier…, pp. 15 et 16.
Rapport du Conseil particulier de Lyon du 19 juillet 1864, p. 13.
Laura STRUMINGHER, Women and the making of the working class : Lyon .1830-1870 …, p. 32.
F. TRISTAN, Le Tour de France …, T. 1 …, p. 228.
André GUITTON, Pierre-Julien Eymard, apôtre de l’Eucharistie …, p. 66.
Norbert TRUQUIN, Mémoires et aventures d’un prolétaire à travers la Révolution, Paris, 1888, éditions Maspéro, 1977, 278 p. (p. 153). Norbert Truquin, qui a exercé de nombreux métiers dans divers pays, était canut à Lyon, sous le second Empire.
On étudiera dans les chapitres 8 et 10 les problèmes posés par la présence de l’Eglise du diocèse dans le monde du travail, à la fin de la monarchie de Juillet et sous la seconde République, avec la contestation des providences par les ouvriers.
V. ROBERT, Les chemins de la manifestation …, p. 135.
Martin BASSE, L’abbé Faivre (1809-1873) …, pp. 29-30. Nous avons déjà indiqué dans le chapitre 4, comment l’abbé Faivre s’était montré un prêtre du peuple dans son apostolat.
A. LATREILLE (dir.), Histoire de Lyon et du Lyonnais …, T. 2, p. 74.
Il faut, dit-il, une grande calamité, pour réveiller l’idée religieuse dans les âmes, mais la religion revêt alors la forme la plus superstitieuse (A AUDIGANNE, Les populations ouvrières et les industries de la France …, T. 2, p. 16). A la Guillotière, l’abbé Chevrier, vicaire de la paroisse Saint-André, constate, au début des années 1850 l’ignorance et l’indifférence religieuse de la plupart de ses paroissiens. (Voir, à la fin du chapitre 11, les indications concernant l’apostolat de ce prêtre, en milieu ouvrier).
Lorsqu’a été tentée une école du soir pour les ouvriers, dans un village voisin de Lyon, il a suffi de l’exigence de la prière pour rendre l’école déserte [séance du 20 mai 1855, pp. 20-25, in Comptes-rendus des Conseils de Lyon - 1836-1860 (Archives de la S.S.V.P. à Lyon)].
L. STRUMINGHER, Women and the making of the working class : Lyon .1830-1870 …, p. 54.
Six obsèques civiles ont eu lieu en octobre, et autant en novembre 1869 (V. ROBERT, Les chemins de la manifestation …, p. 161). Le journal “L’Excommunié” tirait à 6 000 exemplaires à la fin de l’Empire, autant que les deux principaux quotidiens, “Le Salut public” et le “Progrès”. (Jacques PREVOSTO, “Deux siècles de vie politique contemporaine”, in G. GARRIER (dir.), Le Rhône et Lyon de la préhistoire à nos jours …, p. 331).
V. ROBERT, Les chemins de la manifestation …, pp. 161-166. Mgr de Bonald consacra sa lettre pastorale de carême du 2 février 1868, à la condamnation de la franc-maçonnerie. Il soulignait que celle-ci, indifférente en matière de religion, était à l’origine de l’ébranlement de l’ordre social. Il terminait, en conseillant à ses prêtres, si des insignes de la franc-maçonnerie étaient placées sur le cercueil, à l’église ou au cours du trajet vers le cimetière, de demander de les enlever et, dans le cas contraire, de se retirer à la sacristie ou de retourner à l’église en silence (A.A de Lyon).
A. AUDIGANNE, Les populations ouvrières et les industries de la France …, T. 2, p. 102.
Rapports de commissaires de police de Saint-Etienne du 24 juin 1867 et du 25 décembre 1868, cités par O. MARTIN, Un catholicisme urbain au XIX e siècle : Saint-Etienne de 1801 à 1914 …, pp. 120-121.
Le curé de Villars, paroisse de 1 500 habitants au nord de Saint-Etienne, dit que les nombreux ouvriers de sa paroisse ont une moralité qui laisse à désirer (Visite pastorale du 8 juin 1863, A.A. de Lyon, I 131). Dans la paroisse Sainte-Barbe, au nord-est de la ville, “les services religieux ne sont guère suivis que par les femmes et les hommes avancés en âge” (Rapport du commissaire de police du 1er arrondissement, du 21 février 1867, cité par O. MARTIN, Un catholicisme urbain au XIX e siècle : Saint-Etienne de 1801 à 1914 …, p. 120).
O. MARTIN, Un catholicisme urbain au XIX e siècle …, p. 118.
“Qui ne pleurerait de joie, écrivait le pape en voyant les dons des ouvriers ?” (L. et P. DUGAS, Prosper Dugas – Vie et souvenirs …, p.134).
Visite pastorale du 21 mai 1860. Cette paroisse de 3 800 habitants, toute proche de Saint-Chamond, avait un bon encadrement ecclésiastique avec un curé et trois vicaires (A.A. de Lyon, I 131).
B. PLESSY et L. CHALLET, La vie quotidienne des canuts …, p. 230.
O. MARTIN, Un catholicisme urbain au XIX e siècle …, p. 122.
Le soir du 8 décembre 1852, Mgr de Bonald, à l’occasion de l’inauguration de la statue de Notre-Dame de Fourvière, avait convié “notre population laborieuse, à prendre sa part de réjouissances de cette solennité religieuse”, en autorisant une “petite fête ajoutée à la cérémonie”. La statue devait être éclairée par des feux de Bengale et les particuliers pouvaient également illuminer, lorsque le signal serait donné de Fourvière. Mais, à cause du mauvais temps, le signal ne vint pas et les illuminations furent reportées. Toutefois, la population illumina spontanément (V. ROBERT, Les chemins de la manifestation …, pp. 139-140).