3. Spécificité et géographie des providences

Si, globalement, les providences étaient censées protéger la jeunesse des dangers de l’ignorance, de la pauvreté, de l’immoralité et les instruisait pour les besoins de la foi, de la morale et du travail, leurs services s’effectuèrent souvent dans une aire géographique déterminée et se spécialisèrent de plus en plus.

La providence Notre-Dame à Saint-Etienne n’admettait que les filles de la paroisse ; les providences Saint-Nizier, Saint-Paul et Saint-Bonaventure n’admettaient que les filles des paroisses correspondantes 1998 . La providence de garçons Denuzière admettait seulement les jeunes garçons de Lyon et la providence Caille admettait ceux de Lyon et des faubourgs 1999 . De plus, les providences se spécialisèrent suivant les types de problèmes auxquels étaient confrontés les jeunes gens. Aux refuges et providences s’occupant des jeunes filles incarcérées, prostituées, ou risquant de l’être, déjà évoqués, on pourrait ajouter la providence Saint-Joseph abritant les enfants des détenues près de la prison des femmes Saint-Joseph à Bellecour.

D’autres providences s’adressaient à de jeunes malades comme celle des jeunes filles incurables d’Ainay fondée par Adélaïde Perrin en 1819 2000 , dirigée par la suite par les religieuses Saint-Joseph. Comme ce dernier établissement ne pouvait suffire aux nombreuses demandes d’admission, le conseil d’administration saisit l’offre d’un autre local à Vaise et d’un travail facile, fourni par une manufacture d’aiguilles, en 1844 ; ainsi fut fondée la providence des infirmes de Sainte-Elisabeth 2001 , pour tout le diocèse de Lyon puisqu’elle recevait les infirmes des départements du Rhône et de la Loire, de sept ans jusqu’à vingt et un ans : cent douze jeunes filles y étaient accueillies en 1845. On trouvait aussi à Vaise une providence pour les sourdes-muettes créée en 1845, sous la direction des sœurs Saint-Joseph.

Il y avait également des établissements pour les jeunes filles immigrées : certaines étaient de véritables providences comme l’œuvre des jeunes convalescentes sortant des hôpitaux fondée en 1844 par quelques dames pieuses et établie rue Sala puis montée Saint-Barthélemy à Lyon ; on y recevait généralement des dévideuses et des cuisinières nées pour la plupart à l’étranger 2002 . Mais d’autres, comme la Maison des Blandines, laissaient une plus grande autonomie aux jeunes filles, ne les obligeant pas à fournir un travail 2003 et les laissant traiter elles-mêmes avec les maîtres pour trouver une place de domestique. L’établissement, fondé rue du Bœuf, à Lyon, en 1838, par l’abbé Ozanam, vicaire à Saint-Pierre et qui recevait les filles munies d’un certificat de bonne conduite pour se placer comme domestique, comprenait une Congrégation de filles domestiques déjà placées et un logement ou providence pour les filles sans place, nouvellement arrivées à Lyon.

Après le tournant de 1848 qui remit en cause un certain nombre de providences, d’autres types de providence furent bien perçues par les pouvoirs publics comme l’œuvre de Saint-Maurice pour les petites filles de soldats, établie en 1857 au château de Sathonay dans l’Ain, près de Lyon, par l’abbé Faivre 2004 , et surtout pour les garçons, les providences agricoles : providence agricole Saint-Isidore à Vernaison dans le Rhône et colonie agricole de Saint-Genest Lerpt dans la Loire qu’on aura l’occasion d’évoquer. Quant à la providence du Prado de l’abbé Chevrier créée en 1860, nous devons nettement la différencier des autres providences puisque le père Chevrier refusait de faire travailler les enfants et nous montrerons son originalité quand il sera question de l’apostolat de ce prêtre dans le quartier de la Guillotière.

Même si des providences agricoles sont apparues sous le deuxième Empire, la géographie des providences est restée urbaine dans la mesure où elle était essentiellement liée à l’industrie de la soie. Les providences se sont multipliées naturellement à Lyon et à un degré moindre à Saint-Etienne, là où se trouvaient de nombreux ateliers et où le grand nombre de jeunes filles immigrantes était appelé à effectuer les tâches se rapportant au tissage de la soie. A Saint-Etienne, les providences se trouvaient entre les collines où travaillaient les passementiers et le centre de la ville, dans l’espace où se concentraient les dévidages mécaniques 2005 . A Lyon, les providences étaient surtout situées dans la presqu’île, à Fourvière et à la Croix-Rousse ; dans les années 1840, la plupart des fondations se firent à Lyon et dans les faubourgs de la ville où on trouvait les deux tiers des providences de filles et la presque totalité des providences de garçons. Les autres providences du diocèse se trouvaient essentiellement dans les centres textiles comme Roanne, Tarare et Villefranche. En dehors du diocèse de Lyon, il n’y avait pas, semble-t-il, d’œuvres créées pour les jeunes garçons appelées providences, et parmi la trentaine de providences de filles créées hors du diocèse, cinq d’entre elles se trouvaient dans le diocèse de Belley. Toutes les autres étaient dispersées dans l’ensemble du pays 2006 .

Ne s’occupait-on pas de la jeunesse ouvrière en difficulté dans les autres diocèses ? On s’en occupait, assez souvent, de manière différente. Ainsi, dans le diocèse de Cambrai, à Lille, l’abbé Bernard organisa, à la fin des années 1830, un catéchisme de longue durée pour une bonne préparation à la première communion et, pour attirer les enfants, créa un patronage avec l’aide de la Société de Saint-Vincent-de-Paul où les enfants pouvaient jouer 2007 . Pour les jeunes ouvriers de plus de quinze ans, la Société de Saint-Vincent-de-Paul créa également un patronage d’apprentis avec des cours du soir. D’une manière générale, que ce soit à Roubaix, Valenciennes ou Arras, les religieuses qui s’occupaient des jeunes ouvrières les recevaient dans les écoles du dimanche ou les soirs des autres jours, pour les instruire et les distraire 2008 . Mais il n’y avait pas d’internat. On peut faire le même type de constat à Paris où l’œuvre des apprentis dans la mouvance de la Société de Saint-Vincent-de-Paul dirige des écoles du soir pour les enfants travaillant dans la journée et les réunit le dimanche sous la surveillance des Frères des Ecoles Chrétiennes. Quant à l’œuvre du patronage des jeunes ouvrières fondée en 1851 par madame Ladoucette, elle adopte des jeunes filles à la sortie des écoles primaires, les place en apprentissage et l’instruction religieuse leur est donnée le dimanche chez les sœurs. 2009

Dans les pays voisins de la France, on trouve une expérience similaire aux providences de la région lyonnaise en suisse, où le père Florentini a ouvert en Suisse centrale et aux Grisons, pour les enfants pauvres, des “Fabrikheime”, où un personnel spécialisé leur dispense à la fois des connaissances scolaires, une formation professionnelle et une éducation morale 2010 . Il nous faut maintenant examiner comment ces services sont rendus aux enfants dans les providences du diocèse de Lyon.

Notes
1998.

J. FARNHAM, Alternative childhood : Girls providences in nineteenth century Lyon (1800-1850)…., p. 99.

1999.

Annuaire de Lyon de 1859, pp. 345 et 350.

2000.

L’établissement servait d’asile aux jeunes filles indigentes ou qu’une infirmité ou une maladie jugée incurable mettait dans l’impossibilité de pouvoir gagner leur vie. Ces dernières étaient occupées à divers emplois suivant leurs capacités et leurs forces (A.R. Saint-Joseph à Lyon, L28 bis). A partir de 1821, les jeunes filles furent occupées par le brochage des annales de la Propagation de la Foi. Ce travail procurait, suivant les années, entre dix et vingt pour cent des recettes de l’établissement. (A.M. Lyon, 744WP075)

2001.

La séparation entre l’établissement des jeunes incurables et la providence de Sainte-Elisabeth s’est faite avec le consentement de Mgr de Bonald (A.R. Saint-Joseph à Lyon, L19).

2002.

Les dépenses de l’établissement étaient couvertes en partie par le travail d’aiguilles des jeunes filles pour la fabrication d’ornements d’église. Celles-ci restaient en général deux à trois mois jusqu’à ce qu’il ait été possible de leur trouver une place (A.M. Lyon, 744WP075).

2003.

On demandait aux jeunes filles de verser une petite rétribution pour leur hébergement et la Congrégation des filles domestiques était solidaire des nouvelles arrivées, en contribuant par ses dons au fonctionnement de la providence. Lettre du commissaire de police de la Métropole au sénateur-préfet du Rhône, du 24 avril 1866, donnant des renseignements sur l’établissement des Blandines (A.M. Lyon, 744WP076).

2004.

Les filles depuis l’âge de six à dix ans jusqu’à l’âge adulte étaient éduquées par les sœurs Saint-Charles. On ne sait pas si leur éducation professionnelle les amenait par leur travail à compléter les ressources de l’établissement, mais les officiers supérieurs voulaient transformer l’œuvre reconnue légalement en 1861, en Institut militaire de Saint-Maurice, c’est à dire une grande fondation nationale administrée non plus par des dames, mais par un conseil d’hommes. Tableau des œuvres particulières de bienfaisance du département du Rhône du 14 janvier 1863 (A.M. Lyon, 744WP074 et annuaire de Lyon et du département du Rhône de 1864, p. 369).

2005.

A. VANT, Imagerie et urbanisation. Recherche sur l’exemple stéphanois, Centre d’études foréziennes , 1981, 661 p. (p. 23 et suivantes).

2006.

Les tableaux des providences établis par J. FARNHAM, pp. 266-268 de sa thèse, semblent sous-estimer le nombre de providences créées hors du diocèse de Lyon : aucune providence n’est signalée, ni à Paris, ni dans le nord-est de la France. Pourtant, à Paris, une partie des apprentis de l’œuvre des apprentis et des ouvriers, vit en internat dans la maison des Frères des Ecoles Chrétiennes, rue Neuve-Saint-Etienne et travaille dans divers ateliers sous la direction de contremaîtres chargés de la vente des produits fabriqués. (E. DUCPETIAUX, De la condition physique et morale des jeunes ouvriers et des moyens de l’améliorer, 1843, Edit. L’histoire sociale, 1979, T.2, 423p. [p p. 409-410]).

En ce qui concerne les providences de filles, les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, recueillent dans plusieurs de leurs maisons, des jeunes filles depuis l’âge de sept ans jusqu’à vingt ans et leur travail couvre une partie des dépenses. (E. DUCPETIAUX, …, p. 411). Par ailleurs, à Strasbourg, les sœurs de la Croix possèdent dans la ville plusieurs ateliers où sont employées des jeunes filles jusqu’à l’âge de vingt et un ans et le produit de leur travail permet là aussi d’équilibrer le budget. (F. MONNIER, De l’organisation du travail manuel des jeunes filles: les internats industriels, rapport présenté à la Société de protection des apprentis, impr. Chaix, 1869, 71 p., [p. 23]).

2007.

P. PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire, éditions Charles Corlet, 1991, 532 p. (p. 405).

2008.

E. KELLER, Les congrégations religieuses en France, Poulsiègue, 1880, 735 p. (p. 132 et suivantes). Voir aussi d’autres indications concernant l’apostolat des religieuses de la région du Nord dans le chapitre 6.

2009.

Elle se charge également de placer chez des maîtres, les enfants sortis de l’école et les surveille pendant leur apprentissage (J.O. BOUDON, Paris, capitale religieuse sous le second Empire, Le Cerf, 2001, 557 p. [pp. 142-143]).

2010.

R. RUFFIEUX ,“ La Suisse”, in S.H. SCHOLL (dir.), Cent cinquante ans de mouvement ouvrier chrétien en Europe de l’ouest (1789-1939), édit. Neuwelaerts-Louvain, 1966, 512 p. (p. 452).