1. Travail et piété

Piété, docilité et amour du travail étaient les valeurs les plus recherchées. A leur arrivée, les enfants devaient souvent être d’abord lavés et peignés et on les revêtait de l’uniforme de la providence. Les plus jeunes pensionnaires qui avaient entre cinq et onze ans apprenaient la lecture, l’écriture et un peu d’arithmétique, mais l’objectif principal était la leçon de catéchisme en vue de la première communion 2012 . Examinons le programme de la providence de filles des Trinitaires près de Bellecour, qui était comparable à celui de la providence de Jésus-Marie à Fourvière. Les enfants étaient réveillés avant le lever du soleil. Après leur toilette et la récitation des prières du matin, il y avait une période d’instruction religieuse, puis pour les plus âgées, couture et travail sur les métiers à tisser. Après le petit déjeuner, à huit heures, les plus jeunes avaient deux heures de classe et les plus âgées reprenaient leur travail. La matinée se terminait par l’examen de conscience et d’autres prières. Pendant les repas, les enfants gardaient le silence, sauf le dimanche, et écoutaient des lectures pieuses. A quatorze heures, après une heure de récréation, le travail reprenait en classe, pour les plus jeunes, et à l’atelier. Un goûter à seize heures précédait la dernière période de travail, avant le souper. Une récréation et la récitation des prières en commun terminaient la journée.

On donnait aux plus jeunes une instruction fort élémentaire dont le programme était axé sur le rôle traditionnel réservé aux femmes. Les élèves apprenaient surtout à réciter des prières, lire, écrire, compter et pour les filles, coudre, filer, faire de la dentelle. L’instruction élémentaire par la méthode catéchétique était aussi appliquée dans les autres écoles contrôlées par l’Eglise. Les enfants plus âgés apprenaient le texte, plus long, du catéchisme de persévérance. Afin de compléter l’instruction religieuse, on donnait des leçons sur les bonnes manières et la courtoisie. Pour de futures épouses chrétiennes et de dociles ouvrières, on développait les vertus de modestie, de bonté, d’obéissance et de piété 2013 . La journée de travail dans les providences était fort longue, même si Janice Farnham fait remarquer qu’on y travaillait qu’une dizaine d’heures par jour au lieu de quatorze ou quinze dans les ateliers ordinaires et que les règles limitant les heures de travail dans les providences ont précédé la loi sur le travail des enfants de 1841 2014 . Au refuge de Saint-Etienne, les jeunes pensionnaires se mettent tout de même au travail à six heures moins le quart et le soir, elles s’arrêtent de travailler à dix-neuf heures trente 2015 . A la maison Rollet, à la Croix-Rousse, le travail commence encore plus tôt, à cinq heures vingt, après la méditation et se termine avant le souper de vingt heures 2016 .

On insistait dans les providences sur la valeur du travail auquel on accordait une vertu salvatrice. Il est dit dans les règles particulières de la Sainte-Famille à la Croix-Rousse : “Plus on travaillera, plus on effacera ses péchés et plus on augmentera sa couronne” 2017 . Au Refuge d’Oullins, l’abbé Rey pensait aussi obtenir la moralisation des jeunes garçons par le labeur. Mgr de Bonald défendait également cette idée que le travail est un moyen de salut quand il affirmait que le travail est une dette contractée envers Dieu, une expiation du mal et que l’obligation du travail est comme le préservatif d’une rechute 2018 .

Un des objectifs majeurs des providences était de trouver un emploi convenable pour les jeunes garçons et les jeunes filles. A Oullins, l’abbé Rey diversifia au maximum les emplois : métiers textiles, ateliers de tailleurs et cordonniers, confection de boutons de nacre, ateliers de reliure et de forge, jardinage et horticulture. Il le fit pour les adapter aux forces des enfants, pour limiter les effets des périodes de crise en certaines branches et pour adapter la formation à la situation du marché 2019 . Les providences des Cinq-Plaies et du Sacré-Cœur à la Croix-Rousse de même que celle des Jeunes Economes à Fourvière, préparaient surtout les jeunes filles pour le service domestique. Mais la plupart des providences formèrent de plus en plus pour le tissage de la soie, travail le plus lucratif. Ainsi, aux Trinitaires, elles furent d’abord formées pour être femmes de ménage et couturières jusqu’à ce que le tissage de la soie fût introduit en 1835 2020 . Dans les providences importantes comme au Refuge et à l’Antiquaille, il y avait une diversité de formations pour le blanchissage, la couture, la broderie et le tissage de la soie. On a vu aussi que les jeunes filles malades et handicapées travaillaient : à la providence des infirmes de Sainte-Elisabeth à Vaise, le travail fourni par la manufacture d’aiguilles permettait aux infirmes un travail adapté à chacune : “avec un bras paralysé, une infirme ayant une main libre peut compter ou choisir des aiguilles. Les plus valides sont employées à faire de jolies têtes d’épingles émaillées 2021 ”.

La plupart des providences installèrent des ateliers dans de grandes pièces où étaient occupés garçons et religieux ou prêtres, filles et religieuses. Dès que les enfants en étaient capables, ils travaillaient sur les métiers à tisser sous leur direction ou celle de maîtres ou maîtresses laïques. Dans les providences importantes comme celle de Jésus-Marie, cinquante filles pouvaient travailler en même temps. Un quota de deux à trois mètres de tissage ou de dévidage était prévu pour chacune d’elles et le travail supplémentaire, noté soigneusement, lui était payé ; il servait à lui former une dot pour le moment où elle aurait à quitter la providence 2022 .

Bien sûr, le repos du dimanche était respecté et ce jour-là était sanctifié : grand messe, vêpres et leçons de catéchisme occupaient généralement la journée. La piété était aussi de mise, on l’a vu, le reste de la semaine. A la Sainte-Famille de la Croix-Rousse, on respectait religieusement le silence pendant plusieurs heures de la journée et à midi moins le quart, il y avait, chaque jour, cinq minutes d’examen de conscience à genoux 2023 . Même au Refuge d’Oullins, la journée commençait avec la prière et le catéchisme, et les cantiques alternaient avec le silence dans les ateliers 2024 . On peut noter que dans les providences, en particulier dans les refuges pour jeunes filles, la pratique de la confession jouait un rôle important. Au Refuge de Saint-Etienne, les constitutions de la Congrégation des sœurs Saint-Joseph leur prescrivent de préparer les jeunes filles “vicieuses”, qui leur sont confiées, à une bonne confession 2025 . L’aumônier, directeur de conscience de tous les membres de la communauté, entend les jeunes pénitentes en confession, le mercredi et le samedi. Pour faire naître un sentiment de repentir dans leur cœur, il leur fait souvent faire, dans la chapelle, les exercices du chemin de la croix. Il est non seulement le confesseur des jeunes filles, mais il leur donne également des cours d’instruction religieuse trois jours par semaine et les réunit par ailleurs, chaque matin, de même que les sœurs pour la messe qu’il célèbre dans l’établissement.

Pour maintenir une ambiance de travail et de piété dans les providences, leurs dirigeants faisaient aussi respecter des règles d’obéissance et ils isolaient leurs pensionnaires par rapport à l’extérieur, comme nous allons le découvrir.

Notes
2012.

J. FARNHAM, ibid., pp. 177 à 181. On retrouve le programme des providences de l’Ancien Régime. A partir de douze ans, l’apprentissage occupait une partie de l’emploi du temps. Toutefois, des enfants travaillaient parfois plus tôt, comme au refuge de Bethléem où elles travaillaient alors qu’elles avaient à peine sept ans. (Assemblée générale du patronage pour les jeunes filles,du vingt-sept décembre 1841 : A.M. Lyon, 744WP076).

2013.

J. FARNHAM, Alternative childhood : Girls providences in nineteenth century Lyon (1800-1850)…, p. 183 à 186.

2014.

Ibid., pp. 181-182.

2015.

L. REGAT, L’œuvre du Refuge (1837-1918) …, p. 9. Mémoire de D.E.A., Jean Monnet, Saint-Etienne, 1991.

2016.

M.A. KOEHLY, Sur les pas du Poverello,pp. 24 à 28. Il faut dire que les jeunes filles de cet établissement se destinaient à la vie religieuse et suivaient les mêmes règles que les religieuses dirigeant les enfants des providences.

2017.

J. POUSSET-CARCEL et B. CARCEL, Deo Soli – La vie d’un prêtre : Pierre Pousset (1794-1883) …, p. 58.

2018.

Début du mandement à l’occasion du carême de 1842 : Sur la sanctification du dimanche.

2019.

E. BARATAY, Le Père Joseph Rey, pp. 51-52. Notons que la durée quotidienne du travail au Refuge était inférieure à huit heures.

2020.

J. FARNHAM, Alternative childhood : Girls providences in nineteenth century Lyon (1800-1850)…, pp. 160-161. De même à Saint-Bruno, à la Croix-Rousse, on les plaça d’abord comme domestiques mais, en 1820, on décida de former les filles pour la couture et le tissage.

2021.

Prospectus d’information de la providence, A.R. Saint-Joseph à Lyon, L19.

2022.

En un an, les sommes pouvaient atteindre cent cinquante à trois cents francs (J. FARNHAM, …, p. 188).

2023.

Règles particulières de la Société de la Sainte-Famille (J. POUSSET-CARCEL, …, p. 58).

2024.

E. BARATAY, …, p. 54.

2025.

L. REGAT, …, pp. 9 à 11. Le Refuge est rattaché à l’Association des cœurs dévoués, dont le but est de méditer la Passion du Christ et il est également affilié à la Congrégation première de Rome qui voue un culte à Notre-Dame des sept douleurs. Cette piété, centrée sur la Passion du Christ et les souffrances de la Vierge, correspond bien à la spiritualité doloriste du XIXe siècle.