Conclusion

Le monde du travail dans le diocèse de Lyon, au milieu de XIXe siècle, se caractérise par le maintien d’une paysannerie nombreuse qui vit non seulement de l’activité agricole, mais aussi d’activités artisanales diverses, en particulier du travail de la soie, sous la dépendance des fabricants de Lyon, Saint-Etienne ou Tarare. Le monde du travail se caractérise également par des changements pour les artisans et les ouvriers avec l’irruption du libéralisme économique, qui, pour les fabricants, employant des dizaines de milliers de travailleurs, s’est concrétisé par la mécanisation de leurs ateliers et la création d’usines. Dans les nouvelles industries liées au charbon ou à l’industrie textile, autour de Saint-Etienne et de Lyon, les travailleurs, appelés ouvriers, surtout dans le cas de gens de métier qui avaient une qualification, subissaient aussi les conséquences du libéralisme économique, avec entre autres, les effets de la concurrence et la non intervention du gouvernement, si ce n’était pour rétablir l’ordre public. La mécanisation a fortement augmenté le nombre d’enfants et de femmes, travaillant aussi longuement que les hommes, pour des salaires beaucoup plus faibles. Lorsque le droit de grève fut toléré à la fin du second Empire, des ouvrières commencèrent à l’utiliser, dans l’industrie textile, où elles étaient particulièrement nombreuses. Les grèves de leurs homologues masculins avaient déjà été nombreuses dès le début de la monarchie de juillet car, en dehors des nouvelles industries métallurgiques ou chimiques, où des patrons paternalistes accordèrent des avantages à leurs ouvriers, les relations dans le monde du travail furent conflictuelles, en particulier dans les fabriques lyonnaises et stéphanoises.

Les chefs d’atelier de soieries qui possédaient leurs métiers, mais dépendaient de la commande des fabricants, réclamaient à ces derniers, un tarif minimum et, s’étaient associés dans des sociétés de secours mutuel devenues surtout des sociétés de résistance, embryons de syndicat. Le refus du tarif et les mesures prises par le gouvernement pour mettre fin au mutuellisme, furent à l’origine des insurrections des canuts lyonnais en novembre 1831 et en avril 1834, avec la collaboration des républicains lyonnais et stéphanois. Les chefs d’atelier de la Fabrique représentaient un milieu instruit, ce qui explique leur capacité d’organisation, le rôle qu’ils ont joué dans la naissance d’une presse ouvrière et le bon accueil qu’ils ont réservé aux idéologies socialistes. Les révoltes lyonnaises ont eu un écho important chez les écrivains, qui ont décrit également la région transformée par l’industrialisation. Elles ont aussi développé l’inquiétude de la bourgeoisie et multiplié les enquêtes des économistes comme Villermé, qui reconnaissaient la misère ouvrière, mais ne voulaient pas remettre en cause le libéralisme économique. Après les affrontements du début des années 1830, Lyon a aussi attiré ceux qui voulaient une transformation radicale de la société, Cabet, Proudhon, Flora Tristan, Considérant, et Lyon est devenue la capitale du socialisme utopique. Si les trois premiers étaient hostiles à l’Eglise catholique, il n’en fut pas de même des partisans de Fourier qui firent du prosélytisme auprès des catholiques, ni des buchéziens qui souhaitaient que l’Eglise améliore sa morale sociale.

L’élite catholique du diocèse tâchait de faire obstacle aux doctrines socialistes que son premier pasteur, le cardinal de Bonald, condamnait fermement. Les membres de la Congrégation et de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ne proposaient pas de changement de société mais exerçaient leur charité chrétienne en visitant les pauvres. L’apostolat des confrères de la Société s’exerça non seulement à Lyon où il assura son autonomie par rapport au clergé, mais dans d’autres villes du diocèse, et s’adressa tout particulièrement aux jeunes ouvriers, en essayant de mettre en place des patronages d’apprentis. La congréganiste lyonnaise Pauline Jaricot s’adonna ,pour sa part, au sein de l’Œuvre de la Propagation de la Foi puis du Rosaire Vivant, à une œuvre missionnaire universelle ambitieuse et s’appuya, pour ce faire, sur de jeunes ouvrières. Par ailleurs, ayant été témoin de la détresse des ouvriers, depuis sa décision de partager leur pauvreté et ayant vécu les événements de 1831 à 1834, elle conçut le projet, à partir de son association de prière du Rosaire Vivant qui connaissait le succès, de réconcilier riches et pauvres.

Sous l’épiscopat de Mgr de Bonald, la pratique religieuse dans le diocèse de Lyon apparaît le plus souvent satisfaisante, non seulement dans le monde rural, mais aussi dans des villes où les ouvriers étaient nombreux, en particulier dans le bassin houiller stéphanois. A Saint-Etienne, de même qu’à Lyon, où ils furent parfois associés à des protestants, les notables catholiques et une élite ouvrière pieuse, surtout féminine, collaborèrent au sein d’œuvres diverses avec le clergé et les congrégations religieuses. Ces deux villes et celles de la vallée de la Saône rassemblaient aussi les bourgeois et les ouvriers qui, souvent républicains, étaient les plus indifférents ou les plus hostiles à l’Eglise. Le détachement des ouvriers par rapport à l’Eglise, variable suivant les quartiers et les types de métiers, s’est intensifié sous le second Empire. Il a été plus précoce, semble-t-il, dans les diocèses du nord de la France, où les évêques de Cambrai ont polémiqué avec les industriels qui affirmaient ne pas être responsables de la démoralisation ouvrière.

A la différence de l’Eglise des diocèses du Nord, celle de Lyon s’immisça dans le monde du travail dans un but de christianisation, grâce à l’apostolat de jeunes femmes pieuses, qui accueillaient les enfants pendant la journée dans les hameaux de montagne, au sud du diocèse, ou comme internes dans les providences créées dans les villes. Ces établissements de bienfaisance qui accueillaient surtout des jeunes filles pauvres ou à la conduite immorale pour leur donner une éducation chrétienne, leur apprenaient un métier de l’industrie textile grâce à l’installation d’ateliers financés par les marchands soyeux. Ces providences furent fortement contestées à partir de la fin des années 1840 par les chefs d’atelier de la Fabrique qui leur reprochaient une concurrence déloyale. Toutefois, les années 1840 ont été propices à un questionnement des catholiques sur les ouvriers et le monde du travail.