1. “L’Œuvre du travail de Marie” : fournir du travail à domicile

“ L’Œuvre du travail de Marie” fut fondée par l’abbé Cattet, curé de la paroisse Saint-Paul, aidé par plusieurs dames de charité. Son but était d’assister les femmes indigentes de la classe ouvrière en leur procurant du travail dans les moments de crise industrielle où elles en manquaient 2588 . “ L’Œuvre du travail de Marie” trouve son origine dans une autre œuvre, fondée en 1840, également par l’abbé Cattet, pour les petites filles pauvres réunies le jeudi, jour de vacances, dans les ouvroirs des paroisses. Cette œuvre plus ancienne, appelée “le petit travail de Marie”, fournissait aux ouvroirs de cinq paroisses de Lyon, du tissu préparé, afin que les enfants puissent, sous la direction de leurs maîtresses, apprendre à coudre et à confectionner des vêtements. Or, le travail qu’on donnait aux enfants fut aussi réclamé par leurs mères, et ainsi, on envisagea d’annexer à l’œuvre du “petit travail de Marie” une sorte d’agence charitable qui était destinée à procurer de l’ouvrage aux femmes qui en étaient dépourvues 2589 . Les dames qui se consacrèrent à “ L’Œuvre du travail de Marie”, organisée définitivement en 1849, achetaient de la toile, la découpaient et la distribuaient aux femmes d’ouvriers de Lyon. Celles-ci l’utilisaient pour confectionner des chemises et recevaient un prix de façon un peu supérieur à celui qui était pratiqué dans la ville 2590 .

Les femmes qui voulaient être secourues devaient justifier de leur indigence par leur inscription sur le registre du bureau de bienfaisance 2591 . Les chiffres concernant le nombre de femmes assistées ont beaucoup varié et ont été les plus élevés lors des périodes de chômage dans la Fabrique. 60 femmes furent secourues en 1850, 200 l’année suivante, 400 en 1854, entre 1500 et 1800 en 1858, 1800 en 1863 et 500 en 1869 2592 . L’Œuvre était dirigée par un conseil composé à ses débuts, de six dames dignitaires 2593 et administrée également par d’autres dames, dites Dames de paroisse. Les Dames de paroisses recevaient et visitaient les femmes qui demandaient ou qui avaient reçu du travail. Elles s’efforçaient de développer en elles des sentiments de foi et de les entretenir dans des habitudes chrétiennes 2594 . A l’intérieur du conseil, un comité de travail, dont les membres étaient proposés par la présidente, déterminait les types d’ouvrage à adopter et trouvait les moyens d’écoulement des objets confectionnés. Ce comité de travail contrôlait un bureau avec lequel les Dames de paroisse mettaient en rapport les ouvrières 2595 . Au total, “ L’Œuvre du travail de Marie”, dont les membres étaient répartis en décuries comprenant dix personnes, a réuni un grand nombre de femmes, qui étaient plus de 200 en 1863 2596 , au moment où l’œuvre, implantée dans 22 paroisses, devait faire face à une forte demande des ouvrières sans travail.

Quelle place les hommes avaient-ils dans l’association ? En premier lieu, un directeur ecclésiastique, nommé par l’archevêque, dirigeait la partie spirituelle de l’œuvre et assistait aux réunions du conseil, avec voix délibérative 2597 . L’abbé Cattet exerça d’abord cette fonction et fut remplacé à la fin des années 1860 par le nouveau curé de Saint-Paul, l’abbé Pupier 2598 . Ensuite, le conseil pouvait réclamer l’appui et les avis d’une commission composée d’hommes honorables 2599 . On recherchait surtout les compétences des messieurs dans le domaine financier 2600  : ainsi, Prosper Dugas fit partie du conseil à titre de trésorier, puis à celui de banquier de l’Œuvre. Les recettes de l’Œuvre étaient fluctuantes et difficiles à prévoir, parce qu’elles étaient constituées en grande partie par la vente des chemises, chaussettes, tabliers etc., fabriqués par les femmes auxquelles on avait procuré du travail. Le compte-rendu, pour l’année 1853-1854, fait état de pertes annuelles assez considérables sur les confections : celles-ci sont difficiles à vendre, car “nous employons des ouvrières auxquelles le défaut d’aptitude empêche de trouver de l’ouvrage dans les magasins de la ville 2601 ”. De plus, certaines confections, comme les chemises d’hommes, trouvaient moins facilement des acheteurs. “ L’Œuvre du travail de Marie” pouvait bien sûr disposer de revenus plus classiques, à partir des dons, du produit des quêtes, des loteries, et avec la souscription annuelle de 1 franc pour les personnes qui voulaient la soutenir;  mais ces recettes n’atteignaient pas la moitié du montant des ventes de confection. En ce qui concerne les dépenses, l’achat de tissu pour les enfants dans le cadre du “petit travail de Marie” représentait une faible somme, alors que l’achat de divers tissus de coton pour les travailleuses et les salaires qu’il fallait payer pour leur travail à façon, représentaient la presque totalité des dépenses 2602 .

Le principal problème était celui de la vente des confections. Celles-ci faisaient l’objet d’une vente publique aux enchères, car la vente qui avait lieu au magasin de l’Œuvre ne suffisait pas. Un premier magasin fut établi dans une des salles de la mairie du cinquième arrondissement. Ce magasin était ouvert aux travailleuses plusieurs fois par semaine. Les dames de l’économat 2603 y recevaient les demandes d’ouvrage, admettaient les ouvrières munies d’un billet de leur Dame de paroisse et inspectaient les objets confectionnés. Dès 1855, un second magasin fut recherché et établi, finalement, en 1868, rue Saint-Pierre, en vue de la vente des objets confectionnés par les ouvrières 2604 . A chaque assemblée générale, on sollicitait les femmes présentes pour qu’elles viennent s’approvisionner dans le magasin, où elles pouvaient trouver non seulement des vêtements, mais aussi du linge de cuisine et d’office.

“ L’Œuvre du travail de Marie” prit rapidement de l’extension : présente d’abord, en 1850, dans 6 paroisses où avait été établi “le petit travail de Marie”, elle fonctionnait, en 1855, dans 9 autres paroisses, à Lyon et dans les anciens faubourgs de Vaise et la Guillotière. En 1864, 7 nouvelles paroisses étaient concernées : 4 paroisses de la Croix-Rousse, Saint-Denis, Le Bon-Pasteur, Saint-Bruno et Saint-Augustin ; 2 paroisses de la rive droite de la Saône, Saint-Irénée et Saint-Just ; 2 nouvelles paroisses de la rive gauche du Rhône, La Rédemption et l’Immaculée-Conception 2605 . L’Œuvre était donc présente dans les parties de la ville où la population ouvrière féminine était importante. On comprend, dans ces conditions, pourquoi le nombre des zélatrices de l’Œuvre avait aussi augmenté et pourquoi son conseil, ou bureau, avait vu le nombre de ses membres doubler 2606 . Parmi ces derniers, on peut relever la présence de l’abbé Callot, curé de la paroisse du Bon-Pasteur, devenu sous-directeur de l’ Œuvre, qui a non seulement facilité son organisation, mais qui lui a probablement fourni une aide financière conséquente, puisque sa fortune personnelle lui permettait de disposer de plus de 20 000 francs de rentes annuelles 2607 . “ L’Œuvre du travail de Marie” a pu se développer également grâce au soutien de l’archevêque et des pouvoirs publics lyonnais.

Notes
2588.

Tableau des œuvres particulières de bienfaisance du département du Rhône du 14 janvier 1863. A.M. de Lyon. 744 WP 074. Le document indique l’année 1846 pour la date de la fondation, mais tous les documents émanant du ministère de l’intérieur que nous aurons à évoquer, font référence à l’année 1848. On peut remarquer qu’à la suite de la crise économique qui toucha la France à partir de 1846, l’élite catholique féminine de Lyon s’est ingéniée à secourir les jeunes femmes sans travail. Ainsi, l’Ouvroir de Marie, administré par les religieuses de Saint-Vincent-de-Paul, s’adressa, à partir de 1847, aux orphelines et aux ouvrières adultes sans état et sans ressources. Celles-ci bénéficiaient d’une sorte d’apprentissage correspondant à leurs dispositions et recevaient aussi une instruction religieuse (Prospectus de fondation. B.M. de Lyon. Fonds Coste : 110 790).

2589.

Lettre de l’abbé Cattet, du 4 août 1861, au secrétariat du préfet du Rhône. Œuvre des pauvres Savoyards ; fonctionnement : 1860-1861. A.M. de Lyon. 744 WP 076 et A. VACHET, Lyon et ses œuvres, Vitte, 1900, 322 p. (pp. 68-69).

2590.

Tableau des œuvres particulières de bienfaisance du département du Rhône du 14 janvier 1863. Il ne faut pas confondre le “petit travail de Marie et “ L’Œuvre du travail de Marie”, avec “L’ouvroir de Marie”, Montée du Chemin-Neuf, dirigé par les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Il s’agissait là, plutôt du type d’établissement qu’on a évoqué dans le chapitre8, c’est à dire une sorte de refuge pour les jeunes filles adultes et plus particulièrement pour les jeunes ouvrières de Lyon et les orphelines (Annuaire départemental, administratif et statistique du Rhône de 1848).

2591.

Article 2 du règlement de “ L’Œuvre du travail de Marie” du 11 avril 1852. A.M. de Lyon. 744 WP 076.

2592.

Lettre du préfet du Rhône au ministre de l’intérieur du 7 février 1859 ; comptes-rendus de “ L’ Œuvre du travail de Marie” du 1er mars 1855 et du 17 janvier 1870. A.M. de Lyon. 744 WP 076.

2593.

Les dignitaires du conseil sont une présidente, une vice-présidente, une économe, une vice-économe, une secrétaire et une vice-secrétaire (Article 8 du règlement de “ L’Œuvre du travail de Marie” du 11 avril 1852).

2594.

Article 13 du règlement.

2595.

Articles 17 et 20 du règlement.

2596.

Tableau des œuvres particulières de bienfaisance du département du Rhône du 14 janvier 1863.

2597.

Article 9 du règlement.

2598.

Compte-rendu de l’œuvre présenté à l’assemblée générale du 17 janvier 1870. A.M. de Lyon. 744 WP 076.

2599.

Article 14 du règlement.

2600.

Parmi les cinq messieurs, cités à l’assemblée générale du 1er mars 1855, comme faisant bénéficier l’œuvre de leur zèle, on trouve deux banquiers, Prosper Dugas et Louis Guérin.

2601.

Compte-rendu de “ L’Œuvre du travail de Marie”, lu à l’assemblée générale tenue à l’archevêché, le 1er mars 1855. A.M. de Lyon. 744 WP076.

2602.

Budget arrêté en juin 1854, à l’occasion de l’assemblée générale du 1er mars 1855. Les dames de l’Œuvre pensaient que le travail des petites filles était très utile car elles avaient reconnu l’extrême ignorance en couture des femmes de la Croix-Rousse. (Lettre de la présidente de l’Œuvre, Mme Guimet, au préfet du Rhône, du 30 novembre 1855. A.M. de Lyon. 744 WP 076).

2603.

Au début, deux économes suffirent pour la direction du travail. Puis, comme toutes les paroisses avaient des ouvrières à occuper, il fallut plus de dames d’œuvre pour acheter les étoffes et vendre les confections. Dans le conseil de l’Œuvre, en 1864, on trouvait trois économes et une sous-économe (Comptes-rendus présentés à l’assemblée générale du 1er mars 1855 et du 22 décembre 1864).

2604.

Comptes-rendus présentés à l’assemblée générale du 1er mars 1855 et de celle du 17 janvier 1870.

2605.

Comptes-rendus présentés à l’assemblée générale du 1er mars 1855 et de celle du 12 décembre 1864.

2606.

Aux six membres féminins du conseil, auquel assistaient également le directeur ecclésiastique et le trésorier, s’étaient ajoutés un sous-directeur, deux économes, une trésorière et quatre conseillers. (Règlement de l’Œuvre du 11 avril 1852 et compte-rendu présenté à l’assemblée générale du 22 décembre 1864).

2607.

J.O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire (1802-1905) …, p. 49. L’abbé Callot (1814-1875) avait été d’abord professeur au noviciat des Chartreux. Il est devenu évêque d’Oran en 1867.