2. Une Œuvre particulièrement encouragée par l’archevêque et soutenue par les pouvoirs publics lyonnais

L’archevêque de Lyon, le préfet du Rhône et le maire de Lyon, instruits du projet des dames qui voulaient fonder une œuvre destinée à secourir les femmes sans travail ou disposant d’un faible salaire, les ont vivement encouragées à en poursuivre la réalisation en les assurant de leur patronage 2608 . Toutefois, le gouvernement manifesta à l’égard de l’Œuvre, comme nous le verrons, moins d’enthousiasme, et des critiques émanèrent des propriétaires de magasins de confection lyonnais.

Mgr de Bonald, qui avait donné son agrément pour la constitution du conseil de “ L’Œuvre du travail de Marie”, a approuvé également son règlement “comme pouvant utilement diriger et soutenir une des œuvres les plus nécessaires de notre ville épiscopale 2609 ”. Le cardinal fit régulièrement des dons à l’Œuvre et a fréquemment assisté aux assemblées générales qui se tenaient à l’archevêché. Il reconnaissait qu’il avait éprouvé, comme ses curés, de la méfiance 2610 , quand elle fut fondée, mais qu’après réflexion, il l’avait trouvée parfaite et digne de bénéficier de la protection de l’Eglise de Lyon. Il désirait que cette œuvre, on ne peut plus morale, qui “prévenait, dans les ménages, bien des désordres occasionnés par l’oisiveté”, soit accueillie par tous les curés des paroisses de Lyon 2611 .

Dans la ville, l’administration appréciait aussi cette œuvre, surtout dans les époques de crise de l’industrie du tissage des soies 2612 . Le conseil général du Rhône lui accordait chaque année une allocation de 500 francs, qu’il porta à 1 000 en 1869 2613 . En 1866, au moment où, dans l’agglomération lyonnaise, 50 000 métiers à tisser la soie sur 70 000 furent inoccupés, le préfet du Rhône essaya de calmer les esprits en utilisant les 30 000 francs qu’il avait reçus de la Chambre de commerce pour les ouvriers sans travail et les 100 000 francs qu’il avait reçus du ministre de l’intérieur. Il utilisa cet argent, non seulement pour créer des ateliers de charité, mais aussi pour subventionner “ L’Œuvre du travail de Marie”, qui procurait du travail de lingerie aux femmes des chômeurs 2614 . Aussi n’est-il pas surprenant que le préfet ait accepté, comme le lui demandait l’abbé Cattet, d’intervenir auprès du gouvernement pour que ce dernier accorde à l’œuvre la reconnaissance légale 2615 . Le préfet souligna dans sa lettre au ministre de l’intérieur, que cette association n’avait pas cessé de répondre, depuis sa création, à la pensée de charité qui l’avait inspirée et que l’expérience avait montré qu’elle était utile 2616 . Il lui fut répondu que “ L’Œuvre du travail de Marie” était plutôt une association religieuse qu’une œuvre de bienfaisance puisque l’archevêque intervenait dans la nomination des membres du conseil et qu’une institution placée sous l’autorité immédiate de l’archevêque et d’un directeur ecclésiastique, pourrait être amenée à refuser les personnes indigentes n’appartenant pas à la religion catholique. En conséquence, l’existence civile ne pouvait être conférée à l’œuvre, d’autant plus que les informations fournies, concernant les services qu’elle rendait, étaient insuffisantes 2617 . Six ans plus tard, le préfet réitéra sa demande auprès du ministre de l’intérieur, en s’appuyant sur les chiffres en progression du nombre de femmes secourues et en évoquant le fait que l’administration locale n’avait pas pour habitude d’assurer du travail aux mères de famille de la classe ouvrière qui en étaient dépourvues 2618 . Mais le ministère de l’intérieur refusa à nouveau de reconnaître “ L’Œuvre du travail de Marie” comme un établissement d’utilité publique, ce qui lui aurait permis d’obtenir une existence légale. Il fut reproché, cette fois, à l’Œuvre, d’avoir les caractéristiques d’une entreprise commerciale, qui ne convenaient pas à un établissement d’utilité publique. En effet, dans le cas où, dotée de l’existence civile, elle ne résistait pas à une grave crise industrielle, elle aurait d’abord inspiré plus de confiance, donc déçu un plus grand nombre de familles malheureuses qui avaient compté sur son secours 2619 .

Il est vrai que “ L’Œuvre du travail de Marie” fonctionnait un peu comme une entreprise commerciale, dans la mesure où elle rémunérait des travailleuses et disposait d’un magasin où elle vendait des confections. Comme les religieuses de Saint-Vincent-de-Paul et du Bon Pasteur, dont les providences s’étaient spécialisées dans la fabrication et la vente de lingerie 2620 , les dirigeantes de l’Œuvre ne payaient pas de patente, contrairement aux commerçants de Lyon. Ces derniers ne leur reprochèrent pas, comme aux religieuses, le vente des diverses pièces d’habillement qu’elles réalisaient, mais le prix de façon plus élevé qu’elles accordaient à leurs confectionneuses. Dans son rapport présenté à l’assemblée générale de 1855, la vice-présidente de “ L’Œuvre du travail de Marie”, s’étonne qu’un secours accordé à de pauvres femmes pour qu’elles puissent subsister, nuise aux magasins de la ville. Certes, les ouvrières secourues percevaient un salaire plus convenable que celui qui leur était donné dans les magasins, mais l’Œuvre avait, au moins le mérite de les former à la couture et la concurrence exercée ne pouvait être dangereuse, puisque temporaire 2621 . Avec “ L’Œuvre du travail de Marie”, des catholiques lyonnaises se sont donc impliquées dans la question du travail concernant les femmes adultes. Il reste à nous interroger sur la philosophie qu’avaient adoptée les dirigeants de l’ Œuvre, avec, en particulier, la valeur qu’ils accordaient au travail, et à nous demander si l’Eglise de Lyon ne s’est pas aussi préoccupée de l’accompagnement des jeunes ouvrières qui devaient travailler hors de leur foyer.

Notes
2608.

Préambule du règlement de “ L’Œuvre du travail de Marie” du 11 avril 1852. A.M. de Lyon. 744 WP 076.

2609.

Annotation placée après le règlement de l’Œuvre.

2610.

Peut-être craignait-il les inconvénients présentés par une entreprise à caractère commercial et les critiques qui pouvaient surgir dans le milieu de la Fabrique, comme cela avait été le cas pour les providences.

2611.

Paroles prononcées par le cardinal de Bonald, lors de l’assemblée générale de 1854 et rapportées par la vice-présidente de l’Œuvre, dans son compte-rendu du 1er mars 1855. A.M. de Lyon. 744 WP 076

2612.

Tableau des œuvres particulières de bienfaisance du département du Rhône du 14 janvier 1863.

2613.

Compte-rendu présenté à l’assemblée générale du 17 janvier 1870.

2614.

S. MARITCH, Histoire du mouvement social sous le second Empire à Lyon …, pp. 104-107.

2615.

Lettre de l’abbé Cattet du 4 août 1861 au secrétaire du préfet, lui signalant qu’en 1852, à la demande des dames de “ L’Œuvre du travail de Marie”, il a écrit au préfet pour obtenir son autorisation légale (Œuvre des pauvres savoyards – Fonctionnement – 1860-1861 - A.M. de Lyon. 744 WP 076).

2616.

Lettre du préfet du Rhône au ministre de l’intérieur du 10 avril 1853 (A.M. de Lyon. 744 WP 076).

2617.

Lettre du conseiller d’Etat chargé de la direction générale de l’administration intérieure, au préfet du Rhône, du 21 mai 1853. (A.M. de Lyon. 744 WP 076). Le gouvernement accorda toutefois, en 1855, une subvention de 400 francs à “ L’Œuvre du travail de Marie” (Compte-rendu donné à l’assemblée générale du 1er mars 1855).

2618.

Lettre du préfet du Rhône au ministre de l’intérieur du 7 février 1859. (A.M. de Lyon. 744 WP 076).

2619.

Lettre du ministre de l’intérieur au préfet du Rhône du 25 février 1859 - A.M. de Lyon. 744 WP 076 - Cet argument est surprenant car le gouvernement semble craindre une plus grande popularité de “ L’Œuvre du travail de Marie” dans le milieu ouvrier.

2620.

Voir, dans la première partie du chapitre 10, le paragraphe : “Les événements de 1848 ont-ils remis en cause les providences ?

2621.

Compte-rendu de la vice-présidente à l’assemblée générale du 1er mars 1855. A.M de Lyon. 744 WP 076.