3. Redonner de la dignité à l’ouvrière qui travaille à domicile ou à l’extérieur

L’abbé Cattet pensait, et, en cela, disait-il, il épousait le point de vue des économistes, que l’assistance des femmes indigentes par le travail, n’était pas dégradante comme l’aumône, qui, par ailleurs, pouvait favoriser la paresse et la mendicité 2622 . La vice-présidente de “ L’Œuvre du travail de Marie” le rejoignait en affirmant : “Notre Œuvre relève les femmes laborieuses à leurs propres yeux en changeant l’aumône en un salaire dû à leur travail er souvent à leurs veilles 2623 ”. Le rédacteur de la “Semaine religieuse de Lyon” ajoutait que ce travail, moralisateur de la famille, protégeait contre les écarts de l’imagination, dangereux pour les jeunes femmes, surtout dans les milieux pauvres 2624 . Pour souligner la valeur du travail, le cardinal de Bonald, choisissait, quant à lui, le modèle de la Sainte-Famille. Vous avez mis votre Œuvre, disait-il, sous la sainte protection de Marie, et vous ne pouviez mieux choisir ; en effet, “elle a donné l’exemple, en travaillant elle-même. La tunique que portait Notre Seigneur … était tissée des mains de la Vierge Marie. Jésus-Christ lui-même a travaillé ; tous travaillaient dans la maison de Nazareth 2625 ”. Puis, conscient de la difficulté qu’éprouvaient la plupart de ses prêtres pour entrer en contact avec le monde ouvrier, il ajoutait : “Dites cela, Mesdames, lorsque vous irez visiter les pauvres ménages : ils recevront ces paroles avec moins de défiance de votre part que de la nôtre 2626 ”.

Le travail à domicile des ouvrières était-il le seul acceptable ? L’Eglise de Lyon se préoccupait-elle aussi des jeunes femmes qui devaient travailler à l’atelier ou dans les magasins ? Dans son compte-rendu présenté à l’assemblée générale du 17 janvier 1870, la présidente de “ L’Œuvre du travail de Marie” a précisé que le but recherché était de “fournir des ouvrages de couture aux pauvres travailleuses et, à domicile, car la femme doit rester au foyer domestique, aux soins du ménage et des enfants ; c’est la tâche que Dieu lui a faite 2627 ”. Toutefois, des dames d’œuvre et des religieuses se sont aussi impliquées pour fournir une aide aux jeunes filles et aux jeunes mères de famille qui devaient travailler hors de leur foyer. L’abbé Cattet a collaboré à nouveau avec des femmes charitables, lorsqu’on a décidé d’accueillir, au milieu des années 1840, à la crèche de la paroisse Saint-Paul, les enfants de moins de deux ans, pour venir en aide aux ouvrières obligées de laisser leurs enfants à la maison. Les mères pouvaient venir allaiter, à la crèche, plusieurs fois par jour, les enfants qui n’étaient pas sevrés. Dans une des pièces de la crèche, on pouvait aussi cuire les soupes et laver les enfants. Une autre pièce formait un dortoir avec 20 petits lits. La surveillance était exercée par une religieuse de Saint-Vincent-de-Paul et un médecin venait chaque jour, faire sa visite de la crèche 2628

La congrégation de Marie-Auxiliatrice, fondée en 1864, dans le midi toulousain, par Marie-Thérèse de Soubiran 2629 , essayait, pour sa part, de soutenir les jeunes filles qui, éloignées de leur famille ou sans famille, travaillaient dans les grandes villes. Pour cela, elle créa des maisons familiales qui étaient, à la fois, un foyer pour jeunes ouvrières et vendeuses, et une société de secours mutuels. Ces maisons familiales proposaient aussi des services annexes, comme celui d’une infirmerie gratuite en cas de maladie ou d’accident ou d’un logement, gratuit également, pendant un mois, en cas de chômage. De plus, des cours et des conférences complétaient la formation morale et intellectuelle des jeunes filles 2630 . Au cours de l’été 1869, Marie-Thérèse de Soubiran traversa Lyon et fit une visite à Mgr de Bonald ; le cardinal, vivement intéressé par le type d’apostolat exercé par sa congrégation, lui fit promettre de ne pas quitter son diocèse, avant d’y avoir établi une maison. La maison fut effectivement fondée à Lyon, à Ainay, mais Mgr de Bonald ne put bénir lui-même l’oratoire des religieuses de Marie-Auxiliatrice. Elles eurent, toutefois, sa dernière visite : il était si faible qu’on dut le soutenir pour monter les marches qui conduisaient à l’habitation de cette communauté naissante 2631 .

Nous avons à évoquer, maintenant, le projet ambitieux conçu par quelques prêtres lyonnais et Pauline Jaricot, pour christianiser et améliorer le milieu de vie et de travail de l’ensemble des ouvriers.

Notes
2622.

Lettre de l’abbé Cattet envoyée au préfet du Rhône en 1852, pour que ce dernier demande au gouvernement, la reconnaissance légale de“ L’Œuvre du travail de Marie” (Œuvre des pauvres Savoyards – Fonctionnement – 1860-1861. A.M. de Lyon. 744 WP 076).

2623.

Compte-rendu fait à l’assemblée générale du 1er mars 1855 (A.M. de Lyon. 744 WP 076).

2624.

Semaine religieuse de Lyon, d’Autun et de la Province, 1863, pp. 106-107.

2625.

Paroles prononcées par le cardinal de Bonald, lors de l’assemblée générale de 1854 et rapportées par la vice-présidente de l’Œuvre, dans son compte-rendu du 1er mars 1855.

2626.

Ibidem.

2627.

Cette position n’est pas surprenante. L’Eglise, comme la plupart des philanthropes et des économistes percevait le travail des femmes dans les ateliers ou les manufactures, comme dangereux, moralement.

2628.

Mémorial religieux, scientifique et littéraire publié par un comité catholique en faveur de l’Œuvre de Saint-François-Xavier … T. I pp. 246-248.

2629.

Marie-Thérèse de Soubiran (1834-1889) fonda cette congrégation dans la ligne de la spiritualité ignatienne, c’est à dire en exerçant un apostolat éducatif, qui procurerait le bien du prochain, sans option exclusive. (Article de Jeanne-Marie FORT concernant les sœurs de Marie-Auxiliatrice, in Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française … p. 426).

2630.

B. TRUCHET, Les congrégations dans la ville : leur patrimoine foncier et leurs fonctions à Lyon (1789-1901), T.I…., p. 196.

2631.

Anonyme, Vie de son éminence le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, …pp. 180-181.