1. Le mouvement général de création des églises et des paroisses

Du début du siècle jusqu’en 1840, on a remis en état les églises et, en particulier de 1820 à 1830, des efforts importants ont concerné les réparations. 2979 Puis l’ère des constructions a commencé : 204 églises ont été construites de 1840 à 1870, surtout au cours des années 1840-1845 et 1860-1870. Le mouvement a d’abord concerné les Monts du Beaujolais, puis leur périphérie et le sud-ouest de Lyon 2980 . Mgr de Bonald se préoccupait particulièrement des églises de son diocèse “qui n’avaient plus des proportions assez vastes pour pouvoir contenir une population que l’industrie tend à accroître de jour en jour” et il a pu constater, au cours de ses visites pastorales, que la foule qui se pressait à l’intérieur de l’église, “laissait à peine au prêtre célébrant, la place nécessaire pour monter à l’autel 2981 ”. De même, il portait un grand intérêt, dans ses visites, à l’architecture et aux richesses artistiques de chaque église. Il tenait à ce qu’on respecte leur style et il eut probablement à faire des reproches à certains curés, lorsqu’il s’est aperçu que des églises avaient été mutilées à la suite des réparations 2982 .

Lorsque se posait la question du remplacement de la vieille église par un édifice neuf, le desservant de la paroisse était le premier, en général, à soulever la question devant le conseil de la fabrique 2983 qui, lorsque ses ressources financières étaient insuffisantes, demandait l’aide du conseil municipal. Le dossier devait, ensuite, être approuvé par l’autorité diocésaine et par le ministre des cultes 2984 . Les revenus des fabriques provenaient, assez rarement, des titres de rentes, de terres et immeubles possédés par la fabrique, ou en montagne, de la vente de bois. Les revenus les plus importants étaient liés à l’exercice du culte : produit des quêtes, des troncs, du casuel 2985 et surtout de la ferme des bancs et des chaises loués chaque année. Les dépenses étaient constituées aux deux tiers par les honoraires des messes, le pain et le vin, la cire, les réparations, et l’entretien du prêtre. Les revenus des fabriques étaient modestes dans le Forez et le Roannais ; sur le plateau de Saint-Bonnet-le-Château et dans le Pilat, les recettes étaient moyennes ; celles-ci étaient les plus élevées dans les Monts du Lyonnais et la montagne beaujolaise. De 1841 à 1855, près de la moitié des fabriques étaient en déficit, en particulier dans le Pilat, la dépression houillère et le bas Beaujolais 2986 . La construction des églises posait de gros problèmes financiers aux fabriques, car le coût pouvait varier entre 20 000 et plusieurs millions de francs 2987 . Dans la circulaire évoquée ci-dessus, l’archevêque s’en faisait l’écho en évoquant les communes pauvres où les habitants passent les journées entières, courbés sur leurs métiers pour en obtenir à peine la nourriture quotidienne et où ils n’ont même pas de quoi relever le toit paternel 2988  ! Les pasteurs, ajoutait-il, ont fait appel à la générosité de leurs troupeaux 2989 et certains d’entre eux ont fait preuve d’une grande libéralité. Si la plus grande part des sommes nécessaires provient des dons des fidèles sous forme de souscriptions, l’Etat accorde des subventions assez substantielles sous le second Empire ; il contribue alors, en moyenne, pour un quart ou un cinquième des dépenses de construction et subventionne, par an, environ le quart des communes qui en font la demande 2990 .

L’histoire de la construction de la nouvelle église de La Valla, près de Saint-Chamond, dans le Pilat, peut nous donner un aperçu des difficultés que devaient surmonter les fabriciens des paroisses pauvres, comme celle de La Valla. Ceux-ci avaient prévu, en décembre 1845, d’allouer pour les travaux, uns somme de 43 000 francs, mais, en août 1847, l’entrepreneur en bâtiment refusait de terminer le clocher, car les fabriciens, trouvant le prix trop élevé, ne l’avaient pas payé. Or, le maire, soutenant l’entrepreneur, avait décidé de vendre le mobilier de l’ancienne église. Le conseil de fabrique, soutenu par l’archevêché, réclama le prix de ce qui avait été vendu illégalement. En 1853, l’église n’était pas terminée et les problèmes financiers s’étaient aggravés : les habitants de cette paroisse de 2 300 habitants avaient donné 40 000 francs, leur curé et leur vicaire, 20 000 francs, mais les travaux ayant atteint la somme de 120 000 francs, il fallait couvrir une dette de 60 000 francs. Aussi le conseil de fabrique a-t-il écrit au ministre des cultes pour demander une aide du gouvernement. Dix ans plus tard, la dette n’ayant toujours pas été remboursée, une commission nommée par l’archevêque élabora une solution pour son règlement 2991 .

Pas très loin de là, à Rive-de-Gier, paroisse ouvrière, l’église Notre-Dame ne menaçait pas de s’écrouler, comme à LaValla, mais ne pouvait plus contenir tous les fidèles. Dans un premier temps, au début des années 1830, un hangar abrita l’église provisoire de la nouvelle succursale, Saint-Jean-Baptiste de Rive-de-Gier. Pour la construction de la nouvelle église, le conseil de fabrique, composé surtout de verriers, disposait en 1840, du produit d’une souscription 2992 de 37 000 francs, d’un crédit de la municipalité de 60 000 francs et d’un emprunt de 20 000 francs. On acheta des terrains qui étaient occupés par des magasins à charbon et les travaux commencèrent en novembre 1841. Mais les souscripteurs, désirant un bâtiment de style gothique, plus onéreux, le devis, comme à La Valla, dépassa, en 1846, la somme prévue, de 100 000 francs. Alors qu’une aide était demandée au ministère des cultes, la moitié de la paroisse refusait de se rendre à l ‘église provisoire à cause de son insalubrité. En 1848, la nouvelle église, qui avait été ouverte, fut transformée en club, puis en dépôt de marchandises. Finalement, en février 1849, le conseil municipal avança les 48 000 francs nécessaires pour l’achèvement de l’église 2993 .

Les nouvelles églises construites à l’occasion de la création d’une nouvelle paroisse, comme à Rive-de-Gier, devinrent particulièrement nombreuses sous l’épiscopat de Mgr de Bonald. En effet, ce dernier a fait ériger 82 églises succursales 2994 , dont 33 dans le Rhône et 49 dans la Loire, au cours des trente années où il occupa le siège de Lyon. La majorité des érections de succursales concerne les communes rurales ; mais, une quinzaine de paroisses apparaissent dans des espaces qui s’industrialisent, autour de Lyon, à Roanne, dans la vallée de l’Ondaine ou du Gier, comme à Terrenoire et la Grand’Croix, sans compter les 20 nouvelles paroisses de Lyon et de Saint-Etienne. Si on essaye d’établir une comparaison avec le diocèse d’Arras, on constate que parmi les 60 succursales qui y ont été créées entre 1848 et 1881, 50 se situaient dans les campagnes, 3 sur la côte et 7 dans les villes. Les principaux arguments pour solliciter l’érection d’une succursale, soulignaient l’éloignement de la paroisse de rattachement, aggravé par le mauvais état des chemins. La volonté de moraliser les populations est apparue surtout au début du second Empire, dans les localités où résidaient les ouvriers 2995 . Dans le diocèse de Lyon, on retrouve fréquemment le premier type d’argument et aussi le désir de moraliser et de stabiliser la population dans les espaces industrialisés. Ainsi, lors de la création de la succursale de la Grand’Croix, entre Saint-Chamond et Rive-de-Gier, le vicaire général Pagnon souhaite voir apparaître “un foyer moralisateur dont l’action régénératrice produirait les plus heureux effets au sein d’une population toujours croissante et essentiellement ouvrière 2996 ”. Les dirigeants de la Société des Mines de la Loire collaborèrent avec le clergé en essayant de fixer la force de travail dont ils avaient besoin à proximité des communes rurales ; dans ce but, ils ont participé à l’œuvre de reconstruction de l’église de Villars en 1856 2997 . Quant aux houillères de Firminy-Roche-la-Molière, elles ont voté l’année précédente, un don de 15 000 francs sur 15 ans pour la construction d’une église à Firminy 2998 .

Certains notables ont permis l’accélération du processus d’érection des succursales dans les villes à majorité ouvrière. Ainsi, Eustache Prénat, maître de forge à Givors, a joué un grand rôle dans la création de la paroisse Notre-Dame du Canal, en 1855, en fondant et présidant la société chargée de l’achat du terrain et de la construction de l’église 2999 . Il en fut de même à Roanne, où joua l’influence de personnalités comme Persigny, qui a été ministre de l’intérieur de Napoléon III, de 1860 à 1863. Au début du second Empire, il y avait deux paroisses à Roanne, celle de Saint-Etienne et celle de Notre-Dame des Victoires, qui furent doublées, de 1861 à 1864, avec la création de deux nouvelles paroisses, celle de Sainte-Anne, en 1861, au faubourg Mulsant, au nord de la gare, et celle de Saint-Louis, en 1864, au faubourg Clermont, à l’ouest de la ville. L’archevêché reçut une aide efficace de la municipalité qui vota des subventions aux fabriques pour la construction des nouvelles églises. L’archevêque, connaissant les transformations du quartier Mulsant, écrivait au préfet de la Loire que la population de 1 200 âmes de ce quartier allait s’accroître par le voisinage de l’embarcadère du chemin de fer et que, par conséquent, il fallait pourvoir aux besoins religieux de cette population ouvrière, éloignée de l’église paroissiale et y maintenir les principes de moralité, garants de l’ordre. Pour toutes ces raisons, il désirait former une nouvelle paroisse dans cette localité et attachait une grande importance à ce que l’affaire reçoive une prompte solution 3000 . L’érection en succursale des deux nouvelles églises, celle de Sainte-Anne, et celle de Saint-Louis, réclamée par les habitants du faubourg Clermont, permit une répartition plus harmonieuse de la population entre les quatre paroisses de la ville de Roanne 3001 .

Dans la ville de Lyon, la plus ou moins grande rapidité de l’implantation des paroisses a aussi été fonction de la collaboration entre des notables fortunés, l’archevêché et les pouvoirs publics.

Notes
2979.

Si on prend l’exemple du canton de Saint-Symphorien de Lay, au sud-est de Roanne, on peut noter, pendant cette période, l’agrandissement des églises de Saint-Priest-La-Roche, de Neaux, de Vendranges, de Cordelle et la création d’un nouveau chœur à Fourneaux [Anne CARCEL- Robert BOUILLER, A l’ombre des clochers du Pays entre Loire et Rhône. La religion dans l’histoire, les coutumes, l’art, des origines aux temps modernes, Copler, 1997, 205 p. (pp. 75-78)].

2980.

E. BARATAY, La pratique religieuse dans le diocèse de Lyon …, pp. 46-50. Dans le canton de Saint-Symphorien-de-Lay, 11 des 16 paroisses ont vu surgir une église (ANNE CARCEL …, pp. 79-87).

2981.

Lettre circulaire de Mgr de Bonald au clergé de son diocèse, sur ses visites pastorales, du 12 décembre 1847, p. 3 (A.A. de Lyon).

2982.

Ibid., pp. 4-6. Au cours de son épiscopat, Mgr de Bonald a consacré plus de 40 églises et un très grand nombre d’autels (J. BLANCHON, Le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, sa vie et ses œuvres …, p. 46).

2983.

Les organes de la fabrique paroissiale étaient le conseil de fabrique et le bureau des marguilliers. Le conseil de fabrique était composé de membres de droit, le curé et le maire, et de membres choisis par cooptation parmi les notables catholiques domiciliés dans la paroisse. Le bureau des marguilliers, comprenant le curé et trois membres élus du conseil de fabrique, préparait et faisait exécuter les décisions. Les fabriques devaient pourvoir aux charges du culte, à l’entretien des églises, des presbytères et devaient assurer aussi le traitement des vicaires supplémentaires, non rémunérés par l’Etat (L.de NAUROIS, article concernant la fabrique, in Encyclopédie Catholicisme, T. 15, 1954, col. 1045).

2984.

Nadine-Josette CHALINE et Jeanne CHARON, “La construction des églises paroissiales aux XIXe et XXe siècles, Revue d’histoire de l’Eglise de France, n°190, janvier-juin 1987, pp. 45-47.

2985.

Il s’agissait des offrandes à l’occasion des baptêmes, des mariages et des sépultures.

2986.

E. BARATAY, La pratique religieuse dans le diocèse de Lyon …, pp. 34-39. Les fabriques en déficit empruntaient et la loi de juillet 1837 obligeait les conseils municipaux à leur voter un secours.

2987.

Ainsi, dans la plaine du Forez, on peut noter la différence de coût entre celui de l’église de Chalain-le-Comtal, de 70 000 francs et celui de la reconstruction de l’église Saint-Pierre de Montbrison, de 400 000 francs, assuré surtout par une trentaine de notables. Il fallut aussi la présence de l’abbé Ollagnier qui, nommé desservant à Saint-Pierre, en 1862, se montra diplomate avec les pouvoirs publics, bon gestionnaire et ayant des connaissances en architecture. [Cindy HALM, Constructions et reconstructions d’églises au XIX e siècle dans les cantons de Montbrison et de Noirétable(Loire), Mémoire de D.E.A., Lyon 2, juin 2002, 224 p. (pp. 79-92)]. On verra, par la suite, que le cardinal de Bonald choisissait les prêtres qui avaient ces qualités, avec beaucoup de perspicacité.

2988.

Lettre circulaire au clergé du 12 décembre 1847, p. 3.

2989.

Pour leur construction, les églises de la banlieue lyonnaise doivent plus aux notables qu’au peuple, ce qui semble moins vrai pour les Monts du Beaujolais et sa bordure occidentale (E. BARARAY …, p. 100).

2990.

E. BARATAY, La pratique religieuse dans le diocèse de Lyon …, p. 51. A titre d’exemple, en 1860, les paroisses de Villié, près de Beaujeu, et de Lentilly, près de l’Arbresle, ont reçu respectivement une allocation de 4 000 francs et de 5 000 francs pour la construction de l’église (J. MULLER, Les charmes trompeurs du second Empire : Mgr de Bonald et le gouvernement de Napoléon III, T. I …, pp. 218-223).

2991.

Registres de la Marguillerie de La Valla-en-Gier. Délibérations concernant la fabrique de la paroisse. Archives des Frères Maristes de L’Hermitage, route de La Valla.

2992.

Parmi les souscripteurs, se trouvaient deux notables protestants (Voir le paragraphe du chapitre 7 consacré à la bourgeoisie des villes). Par ailleurs, le 11 septembre 1843, le sous-préfet de Saint-Etienne faisait état, dans sa lettre au préfet, de l’esprit religieux des verriers qui souhaitaient l’achèvement de l’église.[D. BARAU et E. DELAVEAU, Catalogue de l’ exposition aux archives départementales de la Loire d’octobre à décembre 1991, concernant Thomas Hutter (1809-1879)…, p.110].

2993.

L’inauguration de l’église, dont les ornements étaient moins nombreux que prévu, eut lieu à Noël 1849. La fabrique remboursa la somme avancée par le conseil municipal, sans intérêt, à partir de 1851. [D. BARAU et E. DELAVEAU, Catalogue de l’exposition aux archives départementales de la Loire d’octobre à décembre 1991, concernant Thomas Hutter (1809-1879) …, pp. 106-110].

2994.

J. BLANCHON, Le cardinal de Bonald – archevêque de Lyon – sa vie et ses œuvres …, pp. 42-43. L’auteur donne la liste des nouvelles paroisses dans le département du Rhône et dans le département de la Loire. Le nombre de paroisses est passé de 581 en 1840, à 663 en 1870, dont les trois quarts ont, alors, un vicaire ou un prêtre auxiliaire (Envoi de l’archevêché de Lyon au ministre des cultes, concernant l’état du personnel du clergé et des élèves ecclésiastiques au 1er janvier 1870, A.N., F/19/2431).

2995.

Y.M. HILAIRE, La vie religieuse des populations du diocèse d’Arras, T. II …, pp. 750-753.

2996.

Lettre du vicaire général au préfet de la Loire du 3 août 1857, A.D.L. V55.

2997.

Bernard BOUREILLE et André VANT, “Essai sur la production de l’espace stéphanois au XIXe siècle”, Espaces et sociétés, mars-juin 1977, p. 98.

2998.

Joseph JACQUEMOND, La révolution industrielle dans la vallée de l’Ondaine (1815-1914) …, pp. 176-177.

2999.

B. ANGLERAUD et C. PELLISSIER, Les dynasties lyonnaises …, p. 406.

3000.

Lettre de Mgr de Bonald au préfet du 20 février 1858.(A.D.L. V55) .Le 22 juillet 1859, le sous-préfet de Roanne écrivait au préfet de la Loire, en évoquant les instances pressantes de l’archevêque pour que soient envoyées les pièces relatives au projet.(A.D.L. V55).

3001.

Les quatre paroisses avaient désormais une population comprise entre 7 000 et 4 000 habitants (A.D.L., V55).