Conclusion

Mgr de Bonald souhaitait, comme les catholiques sociaux, donner des réponses à la question ouvrière, qui prit de plus en plus d’acuité en France et dans les pays voisins, au cours des années 1840. Aussi encouragea-t-il les prêtres et les laïcs de son diocèse à toutes les formes d’apostolat auprès des travailleurs. S’il n’alla pas jusqu’à envisager l’installation d’une coopérative de production, comme l’archevêque de Mayence, von Ketteler, il montra, dès la prise de possession de son siège, en juillet 1840, qu’il accordait une grande attention à la situation matérielle et spirituelle des ouvriers. Comme l’évêque de Genève, Mgr Mermillod, qui vint souvent le voir à Lyon, il ne ménagea pas la bourgeoisie enrichie par la croissance industrielle, en espérant qu’elle finirait par instaurer de bonnes relations avec sa main d’œuvre.

Le rapprochement réalisé avec les ouvriers, par le biais de l’intérêt porté à leurs problèmes, et avec des socialistes chrétiens, dans un esprit de fraternité et au nom de Jésus-Christ, ne concerna qu’une minorité de catholiques. Le lyonnais Ozanam, dont le cardinal de Bonald a encouragé l’apostolat comme celui de ses confrères, au sein de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, en fut un illustre représentant, lui qui voulait “passer aux barbares”. Les membres de la revue lyonnaise de l’Institut catholique essayaient, quant à eux, d’être des chrétiens informés des réalités économiques et le cardinal tint à encourager leur Société qui se proposait d’éclairer les esprits. Ce dernier s’impliqua encore plus dans le soutien à la Société de Saint-François-Xavier qui, pour lui, était une association chrétienne, permettant une certaine émancipation de l'ouvrier. Il avait compris que cette société de secours mutuel qu’il présidait, attirait l’élite ouvrière de la Fabrique et même des personnes habituellement peu favorables au clergé, comme Jérôme Morin, un fervent républicain, qui dirigeait le groupe buchézien lyonnais. En effet, dans cette association tolérée par le gouvernement, les ouvriers avaient une autonomie et appréciaient l’instruction prodiguée lors des conférences du dimanche soir.

Mais le cardinal eut fort à faire pour assurer l’avenir de la Société de Saint-François-Xavier, lorsque celle-ci fut contestée, à la fin des années 1840, par les journaux ouvriers et républicains qui reprochaient, entre autres, à la Société, d’avoir des liens étroits avec les Frères des Ecoles Chrétiennes établis près de Fourvière. En effet, ces derniers étaient accusés de carlisme et surtout, à cause de leur implication dans l’industrie locale, de porter préjudice aux chefs d’atelier de la Fabrique, à l’exemple des dirigeants des providences qui faisaient travailler leurs pensionnaires sur des métiers à tisser. Mgr de Bonald dut donc intervenir auprès des Frères pour limiter leurs activités, et il encouragea, en 1848, la reprise des activités de la Société de Saint-François-Xavier, sous un nouveau patronage, celui de Saint-Joseph. Quant aux providences, il dut, en 1847, justifier le bien-fondé de leur existence et, après les violences qu’elles subirent en 1848, dissuader leurs dirigeants de reprendre le travail de la soie. Le cardinal préférait sans doute la formule des usines-internats, car, installées dans les campagnes de la région lyonnaise, elles étaient à l’abri d’un mouvement de contestation, tout en garantissant une solide éducation chrétienne des jeunes ouvrières.

L’expérience de la crise économique des années 1840 et des événements de 1848 amena, par ailleurs, le cardinal de Bonald à soutenir des projets répondant mieux aux besoins matériels et spirituels des plus pauvres parmi les travailleurs. D’abord réticent, il approuva, après réflexion l’ “Œuvre du travail de Marie”, dirigée par des dames de charité de Lyon, qui fournissaient du travail de confection à des ouvrières sans emploi. Il soutint, malgré des critiques de son clergé, les initiatives audacieuses de Camille Rambaud et Antoine Chevrier, dans le quartier de La Guillotière. Le premier accueillit dans la Cité de l’Enfant-Jésus, où l’abbé Chevrier fut, un temps, aumônier, des ouvriers sans logement, puis, plus tard, des vieillards. Le second voulait préparer à la première Communion, des enfants pauvres qui n’avaient pu le faire dans leur paroisse. Ces derniers furent regroupés dans une ancienne salle de danse, à la Guillotière, le Prado, qui devint une providence originale, dans la mesure où le Père Chevrier refusa, pour assurer leur entretien, de les faire travailler. Celui-ci ne pouvait que déranger ses confrères de Lyon dans leurs habitudes, lorsqu’il projetait d’annoncer l’évangile dans les maisons et les usines et de former une communauté de prêtres, pauvres, comme l’avait été Jésus-Christ. A la différence du Père Chevrier, Pauline Jaricot s’impliqua dans le monde des affaires pour redonner à l’ouvrier sa dignité de chrétien. Le but qu’elle projetait était approuvé par le cardinal, mais celui-ci lui reprocha les imprudences qu’elle avait commises à la suite de l’achat d’une usine sidérurgique dans le Vaucluse et, lorsqu’elle fut ruinée, il ne put convaincre les dirigeants de l’Œuvre pour la Propagation de la Foi, de lui venir en aide.

Lorsqu’il prit position sur la question ouvrière, le cardinal de Bonald condamna à la fois le libéralisme économique, qui déshumanisait l’ouvrier, et le socialisme, qui l’illusionnait sur l’amélioration de sa condition. Le cardinal pensait que la condition de l’ouvrier ne pouvait s’améliorer que si la religion pénétrait sur les lieux de travail et si l’industriel se conduisait comme un père bienveillant à l’égard de ses ouvriers. Il fallait, pour cela, qu’il proportionne leur salaire à leur labeur et qu’il leur permette de remplir leurs devoirs religieux. Comme les autres évêques, Mgr de Bonald combattit ceux qui étaient favorables au travail du dimanche, en incitant, entre autres, les dirigeants de la Fabrique, à s’associer pour faire observer le dimanche à ceux qui leur étaient subordonnés. Enfin, il a réussi à fonder un grand nombre de paroisses dans le diocèse, en particulier dans les quartiers des villes, qui ont connu, sous son épiscopat, une forte croissance démographique.

Les successeurs de Mgr de Bonald n’ont pas porté le même intérêt à la question ouvrière. Mgr Ginoulhiac, archevêque de Lyon de 1870 à 1875, souligne surtout que on prédécesseur, dans ses écrits célèbres, a vengé la liberté, l’autorité de l’Eglise et du Siège apostolique 3075 . De plus, il s’adresse beaucoup plus aux pauvres, à qui il conseille d’épargner et de prolonger les heures de travail pour multiplier les bonnes œuvres, qu’aux riches, qui sont seulement sollicités pour donner aux pauvres 3076 . Quant à Mgr Caverot, qui occupa le siège de Lyon de 1875 à 1887, s’il évoqua les souffrances de la classe ouvrière 3077 , il affirma que seul, le baume de la charité pouvait guérir ces souffrances.

Notes
3075.

Lettre pastorale et mandement de Mgr Ginoulhiac, à l’occasion de la prise de possession de son siège, le 3 juillet 1870 (A.A. de Lyon).

3076.

Mandement de carême de Mgr Ginoulhiac du 2 février 1874 (A.A. de Lyon).

3077.

Lettre pastorale de Mgr Caverot du 5 août 1876, à l’occasion de la prise de possession de son siège. Dans un mandement du 10 février 1877, il ordonna une quête en faveur des ouvriers sans travail.(A.A. deLyon).