0.2.2.3. L’ambition du développement (1974-1988)

Les débuts de la CMDT et la mise en place des associations villageoises

Le 21 octobre 1974, suite à la signature d’une convention entre la CFDT et le gouvernement malien, la CMDT (Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles) est créée. Il s’agit d’une société dont l’Etat malien obtient le contrôle (60% du capital), la CFDT 63 conservant 40% des parts. Des relations privilégiées unissent par ailleurs les deux groupes, notamment à travers des conventions d’appui technique et de prestations de personnel. La CMDT, société publique 64 , constitue une filière verticale intégrée qui bénéficie d’un monopole pour l’achat du coton graine et d’un quasi-monopole pour la vente des intrants. Elle se voit confier par l’Etat malien un rôle de développement de toute la zone cotonnière. Les débuts de la CMDT coïncident avec un renouveau de l’organisation rurale lié à l’émergence des associations villageoises (AV).

Le processus d’organisation des producteurs en AV s’inscrit dans un contexte local tendu, les producteurs se plaignant régulièrement de malversations de la part des agents de la CMDT au moment de la pesée du coton. Il entre également en écho avec des discours internationaux sur le développement qui font une part importante au thème de la participation paysanne.

La première AV est créée à Fana dans le village de Tontobougou au cours de la campagne 1973/74, à l’initiative d’un agent de la CMDT, Michel Dao, pour apaiser les conflits liés à la pesée du coton. Quelques autres suivent lors de la campagne suivante. A partir de la campagne 1975/76, le processus s’élargit à l’ensemble de la zone CMDT (CISSÉ, M. Y. 1986). La CMDT fait alors du transfert de compétences un de ses mots d’ordre. Au lieu de distribuer directement aux exploitants les intrants, puis d’organiser l’achat du coton à cette échelle également, la CMDT délègue un certain nombre de tâches à des équipes locales.

Celles-ci sont chargées en début de campagne de recenser les demandes d’intrants, en fonction des prévisions de chaque exploitant. L’AV gère ensuite la réception, le stockage et la distribution de ces intrants, en consignant les crédits pris (la CMDT livre en effet les intrants à crédits, le recouvrement s’effectuant au moment de la commercialisation). L’AV effectue également des tâches dévolues auparavant à l’encadrement agricole (mesure des champs en début de campagne, vulgarisation technique, etc.). Après la récolte, la pesée s’effectue au village, les équipes de l’AV étant chargées de l’enregistrement, sur un cahier de pesées, du poids récolté par chaque exploitant, et de son chargement sur le camion de la CMDT. A l’usine, des membres de l’AV assistent à la livraison, et une fois connue la somme globale du coton, répartissent l’argent entre les villageois. En échange, un pourcentage du coton récolté par le village est consenti à l’AV. Cette « ristourne » est destinée à rétribuer (faiblement) les membres des équipes techniques et les moniteurs d’alphabétisation, et surtout à satisfaire des besoins collectifs (acquisition d’équipement agricole, construction de bâtiments collectifs, aménagement du village, etc.).

La création des premières AV fait l’objet de récits contrastés, qui mettent l’accent soit sur l’initiative paysanne, à laquelle la CMDT se serait contentée de répondre favorablement, soit sur l’intérêt que la CMDT avait à se désengager, tout en obtenant un bénéfice symbolique auprès des bailleurs de fonds internationaux 65 . Nous verrons en revenant sur les dynamiques sociales liées au développement de la production cotonnière que si le transfert des responsabilités a apaisé les tensions entre l’encadrement et les villageois, celles-ci sont souvent simplement déplacées à l’intérieur du village.

Suite à ce démarrage des AV, le projet Mali Sud est mis en place, qui consiste en un contrat-plan qui vise à organiser le « développement rural intégré », appuyé par une aide extérieure importante. La première phase (Mali Sud I) a lieu de 1976/77 à 1982/83. Parmi ses objectifs, l’accroissement de la production de coton mais aussi celle de céréales vivrières, ainsi que la formation du personnel, des artisans et des agriculteurs (DOMBROWSKY, K., DUMESTRE, G. & SIMONIS, F. 1993). Les phases suivantes (Mali Sud II, de 1982/83 à 1987/88, et Mali-Sud III 1989/90- 1997/98) voient l’objectif de développement renforcé, avec un souci accru de la diversification de la production agricole, de la préservation écologique, de l’appui et de la formation aux organisations paysannes.

La dénomination « Mali-Sud » reste une désignation usuelle de la région cotonnière même si le projet de développement « Mali-Sud » en tant que tel a pris fin à l’issue de la troisième phase.

Suite à la création des AV, le découpage territorial qui est encore en vigueur pour la CMDT, différent du découpage administratif, s’est mis en place. Les AV sont regroupées au sein d'une structure nouvelle, la Zone d’Animation et d’Expansion Rurale (ZAER), dotée d’un agent de la CMDT. Les ZAER sont rassemblées en secteurs, qui eux-mêmes composent une région CMDT. Aux régions méridionales (Fana, Bougouni, Sikasso, Koutiala, San) s’est ajoutée en 1994 la région de Kita, à l’est de Bamako.

Durant ces années, le rythme d’augmentation de la production cotonnière reste élevé : la production double pratiquement dans les années 1980, passant de 150 000 tonnes au début des années 1980 à plus de 250 000 en 1991 (FOK, M. 1993 : 140). Le coton fournit l’essentiel des recettes d’exportation du Mali, représentant 8 à 9% du PIB. La zone Mali-Sud apparaît comme une réussite, à l’échelle du pays dont c’est la région la plus riche, mais aussi à l’échelle de la sous-région.

Face à l’échec constaté de nombreux grands projets de développement, le modèle CMDT fait figure d’exception, en ce qu’il semble remplir sa mission de développement, comme on le lit, par exemple dans un rapport de la FAO daté de 1995 :

‘La réussite de Mali-Sud est à cet égard illustrative. L'action de la CMDT a permis une sécurisation du contexte économique (approvisionnement, commercialisation, crédit). Son articulation avec la recherche a permis l'élaboration de propositions techniques diversifiées adaptées à différentes situations agricoles. Simultanément, une politique originale d'appui à l'organisation villageoise et de formation a permis l'émergence de 1700 associations villageoises (AV), auxquelles ont été transférées des ressources financières permettant divers investissements sociaux et économiques (BONNAL, J. 1995).’

Sur le plan de l’alphabétisation également, la région souvent est citée en exemple.

Notes
63.

La CFDT est devenue en 2001 la DAGRIS (Développement des Agro-Industries du Sud).

64.

La CMDT est devenue en 1989 une société anonyme à caractère industriel et commercial.

65.

Entretiens réalisés en août 2001 avec M. Youssouf Cissé, à l’époque Directeur Régional de la CMDT à Koutiala, et en septembre 2001 avec Y. Sidibé, à l’époque Responsable de la formation à la CMDT de Fana.