Un bilan à nuancer

Le mode d’encadrement des populations rurales mis en place par la CMDT s’étend sur une vaste zone (134 500 km² regroupant 6300 villages et hameaux, abritant une population de 3 200 000 habitants soit 28% de la population nationale 68 ). Du point de vue macroéconomique, le secteur cotonnier demeure central, représentant 50 à 75% des recettes d'exportation.

Localement, la culture du coton a permis le développement des revenus monétaires des paysans. Le revenu moyen par exploitation qui se situe à près de 5 fois le revenu moyen national (BINGEN, J. 1998).

Ce résultat global rend très certainement compte de la fixation des populations rurales, la zone CMDT constituant une région de faible émigration durable (en revanche, les migrations saisonnières sont importantes). Cependant, ce bilan est à nuancer fortement si on considère les dynamiques locales.

Au-delà de la culture de rente, le système CMDT a permis l’accroissement des productions céréalières. Une étude de l’OMS au Burkina Faso a montré que l’expansion de la culture du coton était largement responsable de l’amélioration de la santé des foyers en zone cotonnière (GOREUX, L. & MACRAE, J. 2003 : 7). Cependant, d’un point de vue quantitatif, l’adoption du coton peut entraîner une réduction de la diversité des cultures pratiquées, avec une augmentation de celle du maïs et une diminution de l’importance de certaines autres cultures vivrières comme le mil, le sorgho et le niébé.

L’extension de la culture du coton pose des problèmes écologiques importants, l’assolement ne suffisant pas à empêcher un appauvrissement des sols.

En outre, les bilans globaux ne permettent pas de saisir les conséquences de l’extension de la culture cotonnière sur l’accroissement des inégalités. Or le système de la CMDT repose sur une sélection des acteurs à plusieurs échelles. A l’échelle d’un village, les exploitations sont sélectionnées en fonction des caractéristiques foncières de l’exploitation, du statut du chef d’exploitation, de la réceptivité envers les thèmes techniques. A l’échelle des villages, ceux dont le potentiel pour la culture cotonnière ne paraît pas suffisant sont laissés à l’écart. Pour Danielle Jonckers, « l’extension des cultures d’exportation a permis la prospérité de certaines exploitations et accéléré la division des communautés lignagères » (JONCKERS, D. 1994 : 122).

L’organisation communautaire repose sur des unités de productions constituées sur une base lignagère, tout comme l’unité de résidence, la concession, qui rassemble en une enceinte close par un mur l’ensemble des cases des membres de la famille. Celle-ci se compose des descendants en lignée paternelle d’un ancêtre commun. La production familiale se répartit entre champ collectif (foroba) et champs individuels (jɔnforo) 69 . Avant l’intensification de la culture cotonnière liée au développement de la CMDT, les champs collectifs constituaient l’essentiel des superficies cultivées, assurant la subsistance des membres de l’unité de production. Les champs individuels étaient réservés aux cultures commerciales, marginales. Comme le montre D. Jonckers dans son analyse socio-économique des transformations de la zone 70 , l’intensification de la culture cotonnière et les interventions des agents de la CMDT ont conduit au développement des champs individuels, accélérant les scissions d’unités de production en unités plus restreintes. Ce phénomène est à l’origine d’une dégradation des conditions de vie d’une partie des populations, la charge de travail des femmes notamment augmentant dans le cadre des exploitations de petite taille (op. cit. : 127). Nous reviendrons sur ces dynamiques dans notre approche ethnographique.

A l’échelle du village, l’association de travail collectif (ton) connaît également des mutations profondes. Loin de permettre le maintien d’une forme de solidarité extra-familiale, cette structure est devenue « une équipe de travail rémunérée qui loue ses services aux riches producteurs » (op. cit. : 128). Signalons enfin que les réformes récentes de la CMDT tendent à une juridicisation du statut des AV. L’existence d’une caution solidaire entre les membres de l’AV a en effet conduit à des situations de fort endettement, dans le contexte d’une dégradation des revenus du coton. La solution aujourd'hui préconisée est le passage à une autre forme d’association, qui, à la différence de l’AV, aurait une existence juridique, celle de l’Association de Producteurs de Coton (APC) 71 .

La présentation de notre contexte fait donc apparaître une société où le passage à l’économie de marché et l’insertion dans un système de production et d’échange élargi induisent des changements profonds.

Notre travail vise à cerner la place de l’écrit dans ces processus. La rationalisation de la production agricole, l’organisation des villages en AV, l’extension de la logique marchande et la fragmentation des lignages sont autant de domaines où l’écrit intervient, selon des modalités que nous nous proposons d’élucider.

Notes
68.

Informations recueillies sur le site de la CMDT ( www. cmdt .ml/ , consulté le 10/07/2006).

69.

Par convention, les termes bambara que nous citons isolément sont donnés au singulier.

70.

Ses travaux proposent une anthropologie la région minyanka autour de Koutiala, attentive à l’évolution des techniques et modes de production agricole (JONCKERS, D. 1987, 1994). Les grandes tendances qu’elle dégage correspondent à ce qu’on observe sur notre terrain situé dans la partie septentrionale de la zone CMDT.

71.

Proposée en avril 2001 aux « Etats Généraux de la filière coton », cette réforme se met en place progressivement. En avril 2004, lors de mon dernier séjour sur le terrain, le passage aux APC n’était pas réalisé dans le village d’enquête.