0.3. Positionnement

0.3.1. Objets : déplacements et enjeux

Cette mise en contexte permet de préciser notre propos initial.

Une construction de l’objet de recherche autour des usages de l’écrit est en rupture avec les seuls travaux disponibles sur la zone cotonnière qui sont des « études d'impact » de l'alphabétisation ou des évaluations critiques des résultats quantitatifs des campagnes menées à partir de 1975 par la CMDT. Face à des discours dont les arguments s’appuient sur une quantification, notre parti pris initial a été celui de l’ethnographie, en développant une approche qualitative qui nous amène à étudier des pratiques singulières et non une aptitude globale à écrire ou à lire. Cependant, la question de l’extension de ces pratiques reste posée dans notre travail, afin précisément d’avoir les moyens de nous situer par rapport à ces discours. Un des enjeux méthodologiques de notre travail, et une difficulté de l’écriture, a été de préciser à chaque moment de l’exposé de quel cadre d’analyse (et donc de quelle logique de la preuve) relèvent nos résultats.

Notre définition de l’objet constitue également un positionnement différent des études des écritures africaines, qui sont des lieux de cristallisation des enjeux identitaires mais qui ne sont pas les vecteurs les plus répandus de l’écriture dans la région où nous avons travaillé.

Même en nous en tenant aux contextes « ordinaires » de l’écriture, nous sommes déjà face à une situation complexe, comme le montre la description sociolinguistique de la région d’enquête. Différentes filières d’alphabétisation sont en présence : l’école, en français seulement ou bilingue franco-bambara ; l’école coranique et la médersa ; l’alphabétisation pour adultes en bambara. Plusieurs traditions lettrées s’y croisent : la tradition lettrée liée à l'islam, la culture scolaire et administrative du français, les entreprises modernes de transcription des langues nationales qui produisent des corpus professionnels et scolaires. Ces différentes filières, langues, et cultures de l’écrit sont souvent identifiées comme séparées. Notre choix d’observer des trajectoires et des pratiques nous amène à travailler au contraire sur des trajectoires d’individus passés par plusieurs de ces filières, et sur ce qui se transfère d’une langue, d’une filière ou d’une culture de l’écrit à l’autre

Notre approche nous permet également de revenir sur une opposition structurante dans les discours sur les cultures africaines, celle de la tradition orale et de l’écriture. Nous lui préférons une interrogation sur les modes de scripturalisation des savoirs oraux qui sont à l’œuvre. De ce point de vue, nous pouvons nous appuyer sur un travail qui remet en cause cette opposition, en montrant que dans le processus de transmission orale, l’existence d’une source écrite peut jouer un rôle fondamental (CAMARA, S. 1996). Nous verrons que l’articulation de l’oral et de l’écrit apparaît comme un élément essentiel des pratiques observées.