Passer par l’école et par l’alphabétisation pour adultes

La question de la pluralité des filières éducatives pour une même langue se pose pour le bambara et pour l’arabe, le français (écrit) ayant pour contexte d’apprentissage quasi-exclusif l’école.

Pour ce qui est du bambara, il faut d’abord souligner que ces filières se recoupent partiellement, en terme de publics. Pourtant, l’alphabétisation pour adultes et la scolarisation bilingue s’adressent en principe à des groupes distincts : des adultes « analphabètes » d’une part, de enfants de l’autre. En réalité, la situation est plus complexe. Le tableau ci-dessous montre qu’un nombre relativement important d’individus passe par les deux filières.

Tableau 11 L’école bilingue et l’alphabétisation pour adultes : deux filières qui se recoupent (Sous-population: adultes 15 ans et plus) % en lignes, effectifs entre parenthèses

On observe que le pourcentage de ceux qui déclarent être passés par l’alphabétisation est plus élevé parmi les scolarisés que parmi les non-scolarisés (près du double). Notons tout de même que le taux de non-réponses est élevé concernant le suivi des cours d’alphabétisation 112 (notamment parmi les scolarisés).

Arrêtons-nous sur le cas du cumul de ces deux filières. L’examen des données concernant ces 50 bi-alphabétisés montre que ce sont pour l’essentiel des personnes ayant atteint un niveau scolaire entre la 5ème et la 7ème année (36 d’entre eux, cf. tableau A-3). Par ailleurs, si l’on examine le type d’école, 15 d’entre eux sont passés par une école classique.

Ces deux précisions permettent de souligner qu’il ne s’agit pas, pour la plupart d’entre eux, de rattraper l’absence de formation en langue bambara (ce qui est le cas des 15 individus scolarisés en école classique), ou encore un niveau insuffisant (seuls 6 d’entre eux ont passé moins de 4 ans à l’école).

On voit se dégager le profil d’une personne scolarisée au moins jusqu’à la fin du premier cycle de l’école fondamentale, pour laquelle l’alphabétisation pour adultes apparaît comme un complément à la formation scolaire 113 . On peut se demander quand la formation pour adultes est intervenue (immédiatement après la fin de la scolarité ou plus tard), combien de temps elle a duré, et quelle en était la fonction principale (apprentissage scolaire ou socialisation pré-professionnelle ou professionnelle). Nous pourrons reprendre l’enquête sur ces points en nous appuyant sur les données des entretiens (nous nous sommes entretenue avec 22 d’entre eux).

Ainsi, la filière d’alphabétisation pour adultes n’est pas réservée à des adultes non-scolarisés, même si ceux-ci constituent une petite majorité des effectifs.

Ce chevauchement des filières est à prendre en compte dans la comparaison des résultats obtenus par l’alphabétisation pour adultes et l’école bilingue, comparaison qui porte sur le bambara, langue commune à ces deux filières.

Les scolarisés apparaissent comme globalement plus performants : 54% des personnes passées par l’école (quelle que soit la durée) peuvent écrire une lettre 114 , contre 48% de celles passées par l’alphabétisation pour adultes 115 . Il semble logique que les années d’apprentissage scolaire soient plus efficaces que les sessions d’alphabétisation (que celles-ci aient eu lieu en cours du soir ou en sessions intensives de 45 jours durant la saison sèche). Mais nous avons vu que les publics se mêlent : il est ici indispensable de distinguer les performances selon la diversité des configurations.

Tableau 12 Deux filières au rendement différent ? La construction de ce tableau résulte de l’agrégation de tableaux préparatoires concernant des sous-populations distinctes. Ces différents tableaux figurent dans l’annexe 4, avec pour chacun l’indication de la sous-population concernée. Rappelons que les non-réponses pour la question sur l’école sont faibles, alors qu’elles sont importantes concernant l’alphabétisation, ce qui nous a amené à inclure les non-réponses pour l’alphabétisation seulement. % en lignes

On relève d’abord les performances remarquables des bi-alphabétisés, dont tous ont acquis une compétence, même minimale, à l’écrit, les trois quarts pouvant écrire une lettre en bambara. A l’opposé, aucune compétence n’apparaît concernant ceux qui ne sont passés par aucune des deux filières 117 .

Pour comparer les résultats propres à chaque filière, il semble de bonne méthode d’isoler les individus qui ne sont passés que par l’une ou l’autre, et de comparer leurs performances respectives, ce que permet ce tableau. Les individus non scolarisés à l’école bilingue et qui sont passés par l’alphabétisation apparaissent ici meilleurs que les seuls scolarisés (38% de scripteurs de lettre pour les premiers contre 33% pour les seconds). Mais dans ce tableau, nous avons inclus dans les « non scolarisés à l’école bilingue » les individus scolarisés à l’école classique. Si on les retire de la sous-population concernée, la performance de l’alphabétisation pour adultes est bien moindre, puisque ce sont seulement 28% des auditeurs d’alphabétisation non scolarisés qui parviennent à écrire une lettre (tableau A-8).

Quant à la réussite notable des bi-alphabétisés, on peut faire la remarque suivante. S’il est certain qu’ils arrivent à l’alphabétisation avec des compétences (nous avons vu que la plupart ont atteint avant l’alphabétisation un niveau scolaire au moins égal à la 5ème année), il n’est pas sûr inversement que cette formation les ait beaucoup développées (ce n’est probablement pas cette formation qui leur a donné l’aptitude à écrire une lettre en bambara). Plutôt que comme le résultat du cumul des deux formations, on peut interpréter leurs performances par le fait que ce sont les meilleurs élèves qui ont été choisis pour suivre des sessions d’alphabétisation. Nous reviendrons sur cette interprétation dans l’analyse des « générations lettrées » du village : les élèves issus des premières cohortes de l’école bilingue du village ont pour beaucoup été cooptés pour des tâches d’organisation faisant intervenir l’écrit, après un passage par l’alphabétisation qui a surtout une fonction de socialisation pré-professionnelle à l’écrit.

Nos données ne nous donnent pas les moyens d’évaluer les deux filières qui conduisent à l’acquisition du bambara écrit. Elles permettent toutefois de souligner l’efficacité relative de l’une et de l’autre. Le cas singulier des bi-alphabétisés appelle des analyses plus fines recourant aux données de l’ethnographie.

Notes
112.

Il s’agit d’une filière moins encadrée que l’école, aussi les proches ayant à répondre en l’absence de l’intéressé ne savent pas nécessairement si celui-ci a suivi des sessions (une personne peut avoir été inscrite sans avoir réellement suivi les sessions, ou encore y avoir été si peu qu’on hésite à le mentionner).

113.

Si leur âge est variable, les 25-34 sont particulièrement bien représentés (30 individus). L’effectif est majoritairement masculin (37 hommes), mais les femmes constituent tout de même une forte minorité (13 femmes).

114.

Tableau A-4.

115.

Tableau A-5.

116.

La construction de ce tableau résulte de l’agrégation de tableaux préparatoires concernant des sous-populations distinctes. Ces différents tableaux figurent dans l’annexe 4, avec pour chacun l’indication de la sous-population concernée. Rappelons que les non-réponses pour la question sur l’école sont faibles, alors qu’elles sont importantes concernant l’alphabétisation, ce qui nous a amené à inclure les non-réponses pour l’alphabétisation seulement.

117.

Ce résultat ne permet pas de conclure à l’absence de contextes d’apprentissage informel en raison de la construction du questionnaire. Nous savons par les entretiens que ces occasions sont, dans le village d’enquête, assez rares.