Une école, des langues

A propos de l’école bilingue, seule filière bilingue sur notre terrain, on peut avancer quelques données sur la question des rapports de langues à l’intérieur de la filière 118 . La scolarisation bilingue favorise-t-elle les acquis en bambara ou en français ? Poursuivons l’examen en conservant le critère de l’aptitude à écrire une lettre. Parmi les adultes passés par l’école bilingue, le taux de ceux qui parviennent à écrire une lettre en français est de 29% 119 , soit moins que le même résultat concernant le bambara (54%, cf. Tableau 12). Les performances en bambara restent meilleures quand on considère uniquement les scolarisés bilingues non alphabétisés (33% de scripteurs de lettre en bambara, cf. Tableau 12) 120 . L’aptitude à écrire en français varie bien sûr selon le niveau atteint, puisque le français est introduit comme langue étrangère en 2ème année et comme langue d’enseignement entre les 3ème et 5ème année 121 . Aucun scripteur de lettre en français n’a atteint un niveau inférieur à la 5ème année. Si l’on considère seulement les personnes qui ont atteint au moins la 5ème année, le taux s’élève à 45%, et atteint 83% si l’on ne retient que les individus scolarisés au moins jusqu’au second cycle (cf. tableau A-9). Pour le bambara, la corrélation avec le niveau scolaire apparaît également forte mais un niveau 4ème est suffisant pour déclarer l’aptitude à écrire une lettre (31% des individus déclarant la 4ème comme dernier niveau atteint peuvent écrire une lettre en bambara, cf. tableau A-11).

De ces données, on retiendra que les acquis en terme de bilinguisme à l’écrit de ce type de scolarisation ne se font sentir, sur notre terrain, qu’à partir d’un certain niveau atteint (autour de la fin du premier cycle) 122 .

Les compétences en français et en bambara apparaissent, sans surprise, corrélées (cf. tableau A-12). On doit noter que la compétence en français va généralement de pair avec une compétence en bambara (soit que l’individu ait acquis le français à l’école bilingue, cas majoritaire ; soit que la personne, scolarisée en français seulement - dans une école dite « classique », ait complété sa formation par l’alphabétisation pour adultes en bambara ; soit que la formation scolaire et l’alphabétisation pour adultes se cumulent, dans le cas des bi-alphabétisés 123 ). En revanche, le bambara peut être acquis sans le français (seuls 53% de ceux qui peuvent écrire une lettre en français ont la même compétence en bambara).

Notes
118.

Précisons qu’il s’agit d’une question centrale, à la fois dans les évaluations des systèmes éducatifs bilingues et dans les travaux de sociolinguistique consacrés au bilinguisme.

119.

Cf. le tableau A-9.

120.

Le taux de scripteurs de lettre en français parmi ces scolarisés bilingues non alphabétisés est du reste beaucoup plus faible que pour l’ensemble (il est de 13% contre 29%, cf. tableau A-10).

121.

Du moins, tel est le schéma général qui a connu des modifications importantes avec l’introduction de la pédagogie convergente dans les années 1990, et des variations sensibles dans l’application selon les enseignants.

122.

Nos données ne nous permettent pas de comparer ces résultats à ceux obtenus par les individus passés par la seule filière classique (12 individus sur 23 résidents de plus de 15 ans scolarisés en école classique déclarent pouvoir écrire une lettre en français, mais, outre que les effectifs sont réduits, cette sous-population renvoie à une expérience scolaire singulière - scolarisation d’enfants ayant grandi hors du village ou recrutés à l’école du village voisin de Balan entre 1974 et 1978, comme nous le verrons ci-dessous en ).