Des compétences sous-déclarées ?

La question qui reste à poser est celle de savoir si les compétences des femmes ne sont pas sous-déclarées par rapport à celles des hommes, ce qui introduirait un biais important dans les résultats obtenus par le questionnaire.

Les résultats du test ne permettent pas de conclure à une différence globale. On constate que les hommes testés déclarent des compétences plus assurées dans les deux langues que les femmes, mais ils réussissent également mieux, en français comme en bambara (cf. tableau 1, Annexe 2) 131 .

Les hommes ont des résultats meilleurs et plus homogènes, en termes de score comme de compétence déclarée lors de la passation du questionnaire. Cela tient au choix d’administrer le test à un nombre à peu près équivalent de femmes et d’hommes (finalement 16 femmes et 14 hommes). En effet, il est aisé de trouver 15 hommes lettrés (il y a plus d’une quinzaine d’hommes lettrés dans le village), alors qu’il a été difficile de réunir le même nombre de femmes. Parmi les hommes, 4 ont été alphabétisés et 10 sont d’anciens élèves (ayant atteint au moins la classe de 6ème). Parmi ces derniers, les deux qui sont passés par une école classique ont ensuite suivi des sessions d’alphabétisation pour adultes : tous les scolarisés sont donc bi-lettrés. Les femmes ont toutes été scolarisées (au moins jusqu’en 5ème) ; ici encore, les deux seules à avoir été scolarisées en français ont ensuite suivi des cours de bambara.

Les hommes revendiquent presque tous une compétence complète (déclarent lire et écrire une lettre) en bambara, ainsi qu’en français pour les scolarisés. La seule exception est le cas de Makan Konaté (40 ans, école classique 6ème), qui déclare pouvoir lire une lettre en français mais ne savoir écrire qu’« un peu » dans cette langue (cas que nous appelons « compétence mixte ») ; son score en français est pourtant assez bon (4/5 pour la dictée ; 2/4 pour les réponses écrites aux questions) 132 .

Les scores, en français comme en bambara, sont élevés (les moyennes sont autour de 8/9), et relativement resserrés : il sont compris entre 7 et 9, sauf dans deux cas (2 scores à 5/9, l’un en français, l’un en bambara). Pour ces deux cas, on ne peut pas vraiment parler de sur-déclaration, car l’écart n’est pas très important.

Les femmes présentent des cas beaucoup plus disparates.

On peut résumer les résultats présentés dans le tableau 2 de l’Annexe 2 en relevant deux cas de sur-déclaration nette : il s’agit de femmes qui revendiquent des compétences complètes et dont les scores sont de 0 ou 1 (Wassa Coulibaly, Tenin Coulibaly). On peut considérer que les compétences déclarées renvoient plus à un statut d’ancienne élève (Wassa a atteint la 6ème d’une école classique à Bamako ; Tenin a été jusqu’en 5ème à Kina) qu’à des compétences socialement reconnues. Le cas de Goundo Koné (32 ans, école bilingue 6ème) est un peu différent : elle déclare une compétence complète en bambara, confirmée par le test (score 8/9) ; elle revendique une compétence mixte en français (lire une lettre ; écrire un peu) qui n’est pas attestée ici (score nul), mais dont elle décrit l’usage en entretien, en affirmant qu’elle lit elle-même les lettres reçues en français (K 20). Ici, il faut rappeler la spécificité du contexte scolaire du test. Peut-être que la lecture qu’elle effectue elle-même d’une lettre reçue s’appuie sur des sollicitations ponctuelles d’autres personnes lettrées, ou encore demande un temps long qui ne lui a pas été donné dans le test.

On note par ailleurs deux cas de sous-déclaration des compétences : Aminata Souko (29 ans, école bilingue 6ème) déclare une compétence faible en français (lit et écrit « un peu ») et obtient un bon score (6/9) ; Bintou Camara (34 ans, école bilingue 6ème) déclare le même niveau de compétences pour le bambara et obtient 7/9.

On peut conclure à une relative concordance des déclarations du questionnaire et des résultats du test. Nous reprendrons ceux-ci en les rapportant à la rentabilité sociale de ces compétences au niveau du village, pour le cas particulier des femmes (cf. infra 0). En effet, pour beaucoup des femmes dont le test fait apparaître des compétences, il s’agit moins de sous-déclaration que de sous-utilisation collective (professionnelle, associative, etc.) de ces compétences. Ces compétences sont bien connues par l’entourage (donc déclarées), mais ne sont pas reconnues socialement pour autant.

Nous allons maintenant reprendre l’examen des résultats statistiques, en distinguant ces résultats selon les langues et les filières.

Notes
131.

Nous n’avons pas réussi à quantifier cette différence.

132.

Nous renvoyons à l’Annexe 2 pour les modalités de notre évaluation.