Des filières moins masculines ?

Nous avons déjà signalé que les 4 scripteurs de lettres en arabe sont des hommes. Les compétences lettrées en arabe (incluant copie et « oralisation ») sont quant à elles attestées chez les femmes 133 . Si la domination des hommes se vérifie pour ce qui est des adultes passés par l’école coranique (59% d’entre eux sont des hommes, cf. tableau A-17), le recrutement de la médersa apparaît relativement paritaire (54 filles et 56 garçons en 2001-2002). Concernant la médersa, il faut rappeler le contexte particulier de son ouverture dans le village de Kina, qui en fait un moyen d’évitement de l’école. Dans ce contexte, la volonté de contournement du recrutement scolaire peut expliquer que les filles y soient envoyées en nombre, car les familles peuvent espérer que cette filière, moins institutionnalisée dans le cas précis de Kina où elle ouvre avec peu de moyens, sera plus courte. Certaines familles semblent opter pour une stratégie « plurielle » 134 articulée à la différence des sexes : envoyer les filles à la médersa et les garçons à l’école publique. Par ailleurs, l’ethnographie a permis d’observer dans un quartier de Kina le développement de formations religieuses qui s’appuient sur un enseignement écrit (essentiellement en translittération latine) dans la mouvance Ansar Dine 135 , au sein duquel des jeunes femmes forment près de la moitié de l’effectif 136 .

On peut conclure d’une part que les compétences lettrées en arabe sont plutôt le fait d’hommes, et d’autre part que les tendances actuelles remettent en cause cet état de fait.

Pour ce qui est du français, on observe une distribution des compétences selon le sexe particulièrement déséquilibrée : 3% des femmes déclarent pouvoir écrire une lettre contre 12% des hommes (tableau A-18). Le français étant appris exclusivement à l’école (et acquis à la condition d’une scolarité d’au moins 5 ans), nous analyserons ce résultat en soulignant l’inégalité face à l’école des garçons et des filles.

Les compétences en bambara apparaissent également corrélées au sexe : seules 7% des femmes, contre 20% des hommes peuvent écrire une lettre en bambara (cf. tableau A-19). On peut toutefois souligner que c’est pour cette langue que le rapport entre hommes et femmes est le moins défavorable. Ce résultat ne semble pas dépendre principalement de la filière où est acquis le bambara écrit. Les deux filières sont l’une et l’autre inégales quant aux performances des femmes (47% des femmes scolarisées contre 60% des hommes scolarisés déclarent cette compétence ; 43% des femmes alphabétisées et 51% des hommes déclarent cette compétence) 137 . En revanche, le recrutement différencie les deux filières : l’alphabétisation pour adultes apparaît comme très masculine (les femmes ne représentent que 19% de l’effectif des alphabétisés) 138 , alors que l’école est plus paritaire (les femmes constituent 37% des effectifs des adultes scolarisés) 139 . Cependant, si l’on tient compte du niveau scolaire atteint, les femmes sont de moins en moins représentées à mesure que l’on considère des niveaux plus élevés.

On peut donc conclure que l’école est la filière où l’écart entre filles et garçons est le moins important, même s’il demeure massif. Nous retrouvons ici des résultats classiques concernant la sous-scolarisation des filles en Afrique 140 , qui s’expliquent par des considérations générales sur la condition des femmes, en particulier au Mali.

Notes
133.

Sur 329 femmes enquêtées, 3% (10 femmes) peuvent copier des passages du Coran et 4% (12 femmes) peuvent oraliser des passages du Coran.

134.

Pour reprendre la typologie élaborée par E. Gérard (GÉRARD, É. 1997a : 58).

135.

Nous reprenons l’orthographe que retient D. Schulz dans l’article qu’elle consacre à ce mouvement (SCHULZ, D. E. 2003). L’expression arabe est « Ansâr al-dîn », les soutiens de la foi.

136.

L’assistance comprend en 2003 8 femmes sur 17 participants, cf. entretien avec Toumani Sanogo, K 58.

137.

Cf. tableaux A-20 et A-21.

138.

Cf. tableau A-22.

139.

Cf. tableau A-23.

140.

Nous renvoyons aux études réunies par M.-F. Lange dans L’école et les filles en Afrique (LANGE, M.-F. 1998).