Pour ce qui est du capital économique, nous disposons d’un indicateur, les notes par lesquelles la CMDT classe les exploitations selon leur niveau d’équipement (quatre niveaux, de A à D).
La CMDT classe les exploitations en A, B, C et D selon le niveau d’équipement de l’exploitation. Voici les critères de notation tels que les rappelle l’Annuaire Statistique 98/99 :
‘A Exploitation bien équipée pour la culture attelée, ayant au moins une charrue et possédant un troupeau de plus de 10 bovins, avec au moins deux paires de bœufs de labour.’ ‘B Exploitation disposant d’au moins une paire de bœufs de labour et d’une unité de culture attelée, mais un troupeau de bovins de moins de 10 têtes, y compris les bœufs d’attelage.’ ‘C Exploitation non équipée pour la culture attelée, mais sachant conduire un attelage. Disposant d’un équipement incomplet.’ ‘D Exploitation en culture manuelle, ne connaissant pas ou très peu la culture attelée (CMDT 1999 : 8).’On peut remarquer que le critère dominant est celui de l’aptitude à la culture attelée, qui suppose la possession d’une charrue. Rappelons que le décollage de la production cotonnière s’est fait dans les années 1960 suite à l’introduction de la culture attelée. Ce critère est obtenu en référence d’une part à l’équipement proprement dit (qui représente un investissement financier important), d’autre part à la « connaissance » de ce type de culture - sans doute faut-il comprendre par ce terme une compétence technique en la matière. Cette distinction (qui permet de classer comme C ou D des exploitations peu ou pas équipées) semble assez vague : comment mesurer la compétence d’un exploitant qui n’a pas les moyens de posséder (ou encore de louer ou d’emprunter) des bœufs de labour ?
Un critère secondaire permet de distinguer les exploitations A et B, il s’agit du nombre de têtes de bétail possédées. Ici, il ne s’agit pas de mesurer un capital productif (comme dans le cas de l’équipement agricole) mais plutôt la richesse, l’accumulation de bétail étant un mode de thésaurisation très important. Notons que le nombre de têtes est difficile à déterminer. Les chefs de famille ont intérêt à le minorer dans leurs déclarations car il entre dans le calcul de l’impôt. Il est d’ailleurs difficile à déterminer car les bovins sont confiés à des pasteurs une partie de l’année. Il s’agit de toute façon d’un sujet sensible 160 . Nous prêterons donc attention, dans l’interprétation des résultats au fait qu’il ne s’agit pas d’une grille d’évaluation homogène mais d’une classification croisant plusieurs critères.
Ce système de notation des exploitations nous permet tout d’abord de situer le village de Kina par rapport à ceux de l’ensemble de la zone, en nous référant aux statistiques de l’« Enquête agricole permanente de la CMDT », qui fournit des données détaillées pour huit villages de la zone de Fana, choisis comme représentatifs, et où réside un enquêteur de la CMDT (CMDT 2003). Si l’on compare les caractéristiques moyennes des exploitations des villages retenus par l’enquête CMDT et les caractéristiques des 89 exploitations de Kina, on obtient le tableau suivant.
Source : Annuaire statistique régional 2002/2003 de la CMDT, résultats de l’Enquête agricole permanente à Fana.
Le pourcentage d’exploitations notées A ou B à Kina est à peu près le même que pour l’ensemble de la zone de Fana 161 . Le pourcentage d’exploitations notées D à Kina est supérieur à la moyenne régionale, mais nous n’interpréterons pas ici la différence entre exploitations notées C et D, dont nous avons souligné qu’elle ne repose pas sur un critère objectif. En revanche, la part importante d’exploitations notées A (près du double de la moyenne régionale) signale l’importance des exploitations combinant bon équipement et richesse en bovins.
On peut conclure que le village de Kina est comparable à l’ensemble de la zone en termes d’équipement agricole proprement dit (puisque la part d’exploitations notées A ou B est proche de la moyenne), mais comporte une part plus importante d’exploitations à la fois bien équipées et riches (la part des exploitations notées A est supérieure à la moyenne).
Cet indicateur du capital économique des exploitations permet-il de faire apparaître une corrélation entre la richesse ainsi mesurée et le taux d’alphabétisation ?
On note un avantage aux exploitations notées A et B, dont les membres ont un taux d’alphabétisation près de deux fois plus élevé que ceux des exploitations moins bien notées (nous avons groupé les données des exploitations C et D, puisque la distinction nous semble peu pertinente). Notons que seuls 57 individus relèvent d’exploitations notées C ou D, ce qui nous amène à interpréter ce tableau comme signalant surtout des difficultés particulières aux exploitations notées C et D.
En distinguant ce qui revient aux différentes filières d’alphabétisation, on constate que ce résultat n’est pas lié à l’alphabétisation pour adultes, mais à la scolarisation : les individus relevant d’exploitations notées A ou B sont deux fois plus nombreux à être scolarisés que ceux des exploitations notées C ou D (cf. tableaux A-35 et A-36). On observe que cette tendance perdure : les taux nets de scolarisation actuels sont deux fois moins élevés au sein des exploitations notées C ou D que dans les exploitations A ou B (tableau A-37).
Comment interpréter ces résultats ? Contrairement au thème récurrent des discours sur l’alphabétisation selon lequel l’alphabétisation favorise le développement, le lien de causalité principal s’établit, selon nous, dans le sens inverse : la faiblesse des revenus interdit de consacrer du temps à l’alphabétisation et d’envoyer les enfants à l’école. En l’absence d’un équipement agricole suffisant, la main d’œuvre est la ressource majeure. Par ailleurs, les exploitations notées C ou D sont plus restreintes que les autres, ce qui est une raison supplémentaire de ne pas se défaire de ses enfants. Dans le contexte du village, le choix de l’alphabétisation, et plus encore de la scolarisation, ne renvoie pas à des attentes immédiates en termes de rentabilité économique.
On peut donc établir un lien entre le capital économique d’une famille et son taux d’alphabétisation. Elargissons maintenant l’investigation aux autres ordres sociaux de distinction.
Ces raisons expliquent que lorsque j’ai sollicité l’autorisation d’entreprendre la passation du questionnaire au village auprès du chef administratif du village (également mon logeur) celui-ci a émis comme seule réserve qu’il ne fallait pas aborder cette question. Dans son article « Cens et puissance, ou Pourquoi les pasteurs nomades ne peuvent pas compter leur bétail », J. Pouillon propose d’aller au-delà des justifications couramment avancées (crainte de l’impôt, peur de s’attirer une malédiction en revendiquant une possession hautement précaire), en analysant les modalités d’exercice de la propriété, qui font que le chef de famille ne peut se prévaloir d’une possession effective de l’ensemble de son cheptel (POUILLON, F. 1988).
Ce taux est de 77% pour l’ensemble de la zone CMDT.