Les habitants de Kina se présentent en général comme des « Maraka » 170 . Lors de mon premier séjour, telle est l’information que j’ai généralement obtenue, qui concorde avec les déclarations reportées sur les registres du recensement qui indiquent une origine « sarakolé ».
Il faut en effet rappeler, avec Jean Bazin, que « le terme "marka" est d’abord l’un des noms par lesquels les ethnies voisines désignent ceux qui se nomment eux-mêmes soninke » (BAZIN, J. 1972). Le terme « sarakolé » est aussi une désignation extérieure de ces derniers, mais de plus grande extension (et qui a fait fortune sous la colonisation dans la littérature ethnologique et l’administration coloniale française) ; le terme « Maraka » désigne quant à lui les populations soninké situées dans le Sud et l’Est du Mali 171 . Notons que l’ethnonyme « Maraka » est, sur notre terrain du moins, le terme d’auto-désignation le plus fréquent.
Le recours à l’ethnonyme « Bamanan », Bambara est également attesté, renvoyant au critère de la langue ou du nom de famille (jamu). Pour ce qui est de la langue, seules les personnes les plus âgées (autour de 60 ans et plus) parlent le soninké ; la communication se fait pratiquement toujours en bambara (sauf pour les familles peules).
L’encadré 4 rend compte de la fluidité des assignations ethniques en montrant comment les appellations de « bambara » et « maraka » sont revendiquées par différentes personnes au sein d’une même famille, et par une même personne, en des sens différents.
En réponse à des questions de ma part sur l’origine du village, il m’a été d’emblée indiqué que les familles qui ont fondé le village sont arrivées de Kalaké 172 ; les dates données se rejoignent (la dernière décennie du XIXe siècle ; la date de 1896 est parfois avancée). Le détail des lieux où ces familles se sont installées avant d’arriver à Kina (Wérékéla, Siéro…) est fourni avec un degré d’exactitude variable, mais sans réticence. En revanche, toute question sur l’origine en amont de cette migration se heurte à des refus qui s’abritent derrière l’ignorance des faits, et me renvoient à de plus savants (qui ne s’avèrent guère plus loquaces).
Au bout de quelques mois de terrain à Kina, le caractère évasif de ces réponses a reçu une explication, d’abord de la part de personnes extérieures au village (à Fana), puis de la part de certains villageois eux-mêmes, dans des circonstances singulières que nous détaillerons plus loin : les familles issues de Kalaké ont quitté cette localité après avoir été affranchies d’une condition d’esclave.
Nous écrivons « Maraka » (« Maraka » avec une majuscule pour le nom, « maraka » sans majuscule pour l’adjectif, tous deux invariables) en suivant la transcription de la prononciation locale. On trouve aussi en français « Marka ». Dans les citations, nous conservons l’orthographe de l’auteur.
Les Maraka apparaissent dans la littérature ethnologique comme un peuple « d’identification malaisée » (GALLAIS, J. 1984 : 28). Dans Haut-Sénégal Niger,Delafosse retient le critère ethnique au détriment du critère linguistique : « Au point de vue ethnique, je considère comme Soninké tous les Marka de la Boucle du Niger et des pays banmana et malinké, bien que la plupart ne fassent plus usage de leur langue et aient adopté le parler des Dioula, celui des Banmana ou celui des Malinké selon les régions, comme les Soninké de Diénné ont adopté la langue songaï » (DELAFOSSE, M. 1972 [1912-1] : 138, cf. aussi 278). En l’absence de critère distinctif stable (la langue, le statut social, etc.), on comprend que la désignation d’ « ethnie » puisse être contestée, tant que l’on se donne une acception essentialiste de ce type de catégorie. Ainsi, pour le géographe J. Gallais, « les Marka ne constituent pas une ethnie mais un groupe culturel et historique (…) : on est marka si on est musulman » (op. cit. : 29). Nous suivrons J. Bazin, qui donne au terme un sens précis dans le contexte socio-historique de la région, en relevant qu’il constitue une catégorie de désignation importante dans le système relationnel des identifications disponibles. « On distinguera cependant les marka-je (« blancs »), les « vrais » pour ainsi dire, ceux de la zone sahélienne (généralement hors de l’aire dominée par Ségou, ou du moins sur ses marges) et parlant soninké ; et d’autre part les marka fĩ (« noirs ») étroitement mêlés aux Bambara et ayant adopté depuis longtemps leur langue » (BAZIN, J. 1972). On peut souligner enfin, comme le fait C. Barrière dans sa thèse, que ces auteurs « convergent vers l’idée que le référent maraka désigne une population assez composite (…) essentiellement caractérisée par son adhésion à l’islam » (BARRIÈRE, C. 1997 : 98).
Kalaké (il s’agit de Kalaké-Marka) est une localité du cercle de Baraouéli, située à une vingtaine de kilomètres au Nord de Kina. Il s’agit sans doute d’un de ces villages maraka qui relevait, du temps du royaume de Ségou, de ce que J. Bazin décrit comme « le réseau des marka-dugu, communautés soumises au faama, payant tribut, mais conservant une assez large autonomie, [et qui] constitue une sorte d’annexe marchande et pacifique à l’Etat guerrier de Ségou » (BAZIN, J. 1975 : 153).