1.2.2.1. Axes d’analyse des « générations lettrées »

Des générations ?

Il est tout d’abord impératif de justifier, pour chacune d’entre elles, la construction d’une « génération lettrée ». Dans cette expression, le concept de génération est toujours pris dans ce que nous avons défini comme son acception sociologique (cf. supra 0), mais le sens précis que l’on peut lui donner varie selon chacun des groupes considérés. La notion d’un groupe doté d’une conscience commune (la génération au sens « historique »), ne concerne que certaines des générations lettrées que nous identifions. Nous soutenons cependant qu’il est pertinent de rapprocher les individus dont la formation s’est faite à une même époque, car le contexte historique détermine l’expérience de l’écrit à trois niveaux. Premièrement, chaque période est caractérisée par une offre de formation, en fonction de l’existence ou non de structures locales, qui détermine les filières disponibles et la possibilité de passer par plusieurs filières ou d’apprendre plusieurs langues. Deuxièmement, la rentabilité sociale de l’acquisition des compétences est fortement différenciée selon les époques. Enfin, plus largement, l’évolution de la société conditionne ces trajectoires, dans la mesure où certaines dynamiques modifient les contextes de socialisation à l’écrit des enquêtés (par exemple la modification des habitudes migratoires).

La périodisation retenue pour les générations lettrées s’articule autour des événements marquants du point de vue des structures éducatives : l’implantation d’un centre d’alphabétisation en 1971, qui a surtout été actifs à ses débuts ; l’ouverture d’une école dans le village de Balan, recrutant à Kina en 1974 ; l’ouverture d’une école à Kina en 1979 dans le cadre de l’expérimentation du bilinguisme. Les dates que nous retenons sont celles du début de la formation 202 , soit :

- avant 1971, pour les quelques villageois scolarisés à Fana (que nous identifions comme la première génération lettrée, soit GL 1) 203  ;

- de 1971 à 1979, pour les premiers alphabétisés du village - le centre d’alphabétisation a surtout été actif à ses débuts (GL 2) ;

- de 1974 à 1978, pour les élèves recrutés à Balan (GL 3) ;

- de 1979 à nos jours, pour les élèves recrutés à Kina (GL 4) - dans ce dernier cas, pour constituer un groupe suffisamment homogène, nous retenons les trois premières cohortes de l’école, comme nous l’expliquons en détail ci-dessous (cf. infra 0).

Nous allons étudier ci-dessous l’une après l’autre chacune des différentes générations lettrées, de manière chronologique. La périodisation proposée permet d’observer la mise en place successive de filières éducatives distinctes. Outre les caractéristiques propres à chaque génération, nous aurons à tenir compte dans l’analyse de la succession et de la coexistence de ces générations lettrées et à repérer comment chacune se situe par rapport aux précédentes.

Notes
202.

Nous justifierons les bornes chronologiques finales dans l’examen de chacun de ces groupes.

203.

Dans la suite de e travail, nous identifierons les enquêtés, quand cela est utile à l’analyse en précisant la génération lettrée (GL) dont il relève, ainsi que le niveau scolaire atteint pour les GL scolarisées, et les autres filières éventuellement suivies. Ainsi « Mamoutou Coulibaly (GL 2) » indique que cet enquêté est alphabétisé, « Moussa Coulibaly (GL 4, 6ème) » que cet autre enquêté a été scolarisé à l’école bilingue jusqu’en 6ème.