1.2.3. Une alphabétisation « par le haut » (1971-1979)

1.2.3.1. Les premiers alphabétisés

Avec les premiers villageois à avoir bénéficié de l’alphabétisation en bambara, nous abordons un groupe plus important numériquement, et dont le rôle dans le développement du village a été central depuis les années 1970.

Nous retenons les villageois alphabétisés de 1971, date d’ouverture d’un centre d’alphabétisation, à 1979, date d’ouverture de l’école. Certes l’école, en tant que pourvoyeuse de jeunes alphabétisés, n’a pas pris le relais de l’alphabétisation en 1979, mais seulement à partir de la seconde moitié des années 1980. Cependant, l’essentiel de l’alphabétisation s’est bien effectué dans les années 1970 comme on le verra. On peut donc retenir cette date de 1979 comme indicative d’un déclin de l’alphabétisation pour adultes. Celle-ci n’a été reprise sous l’égide de la CMDT qu’à partir des années 1980. Elle continue depuis de manière intermittente mais sans assumer un rôle de socialisation collective à l’écrit aussi important qu’à ses débuts. De plus, recrutant souvent des individus passés par l’école (cas des bi-alphabétisés repérés par le questionnaire), elle n’est pas un contexte d’apprentissage premier et unique comme dans les années 1970.

La plupart des individus concernés ont reçu leur formation ensemble dans le contexte de l’implantation du centre d’alphabétisation du village tel que le rappelle le récit de Ba Soumaïla cité précédemment, ce qui rend pertinente la question de la conscience commune qui caractérise la génération au sens historique.

Pour cette génération, la rentabilité sociale de l’alphabétisation est en général immédiate. Cela tient à ce que cette alphabétisation vise à constituer des ressources pour l’organisation du village d’abord, puis pour la production cotonnière à partir de 1975. Ces postes de responsabilités étant quasi-exclusivement masculins, on comprend que le recrutement ait concerné essentiellement des hommes, jeunes adultes ou d’âge mûr (âgés de 20 à 35 ans environ au moment de leur recrutement, ils sont nés de 1937 à 1962).

Nous disposons pour étudier cette génération d’une série d’entretiens, qui sont parmi les premiers effectués (n = 7). A ce stade, j’ai identifié les enquêtés en me laissant guider par le réseau d’interconnaissance, demandant à rencontrer les gens qui « utilisent l’écriture » en bambara ou en français. J’ai donc rencontré des lettrés socialement reconnus. Pour cette génération, cette méthode s’est révélée relativement efficace, comme on peut le constater en se référant aux données recueillies par le questionnaire.

Nous n’allons pas comme précédemment proposer un portrait pour chaque enquêté relevant de cette génération. Pour un groupe d’hommes âgés de 42 ans à 67 ans au moment de l’enquête, la prétention à l’exhaustivité est de toutes façons vaine car plusieurs des acteurs de cette période sont décédés. L’usage du portrait est ici différent : nous avons choisi de présenter un seul portrait où les logiques à l’œuvre de manière spécifique dans cette génération apparaissent le mieux. Les autres entretiens permettront de prolonger ou de nuancer l’analyse menée à partir de ce cas.