1.2.4.2. L’école bilingue de Kina (1979)

L’ouverture de l’école

L’implantation d’une école à Kina en 1979 fait figure d’événement dans l’histoire du village. Il s’agit d’une des rares dates régulièrement citée dans les récits touchant à l’histoire récente.

L’ouverture de l’école s’inscrit dans des enjeux locaux forts : la concurrence entre Kina et Balan est un facteur majeur de l’engouement pour l’école à Kina, puisqu’elle permet d’éviter de continuer à envoyer les enfants du village à Balan. Elle fait également figure d’événement d’envergure nationale, puisqu’il s’agit d’une expérimentation scolaire (l’introduction des langues nationales) qui n’a concerné en 1979 que 4 villages du Mali. Cet événement tient donc à une double mobilisation : une mobilisation des cadres et des enseignants autour de l’expérimentation nationale du bilinguisme à l’école ; une mobilisation des villageois pour avoir leur école.

On peut souligner d’emblée une divergence dans ces intérêts, qui tient à ce que le souci des villageois de ne pas retomber sous la tutelle de Balan (ne serait-ce qu’en y envoyant leurs enfants à l’école) est une motivation forte pour avoir une école, mais pas particulièrement une école bilingue. Le village a saisi l’opportunité représentée par l’expérimentation du bilinguisme, qui constituait la seule manière d’obtenir une école (la construction d’une école, si peu de temps après l’ouverture de celle de Balan, ne se justifiait pas par ailleurs).

Dans le récit le plus détaillé que nous en ayons, celui recueilli auprès de Ba Soumaïla Konaté (H 4 de 2003, qui reprend et complète les données recueillies en 2002 dans K 2), l’ouverture de l’école est présentée comme un prolongement de l’alphabétisation pour adultes. Interrogé de façon volontairement large sur les bénéfices de l’alphabétisation, il met ainsi en avant l’importance de l’alphabétisation dans l’implantation de l’école : « an yεrε ka lεkoliso in ka jɔ yanninɔ, kalan nafa de y’a kε », la construction même d’une école ici même, c’est le résultat de la formation. Ce point est repris et explicité en H 4 :

SK I n’a fɔ ekɔliso in, a daminεna balikukalanko kan ; balikukalanko in ye min ye, ne ye kalan min kε, a ju bε ta o kan.’ ‘Traduction.’ ‘ SK C’est-à-dire que cette école, elle a commencé à partir de l’alphabétisation pour adultes ; l’alphabétisation pour adultes, cette formation que j’ai mise en place, c’est de là qu’elle tire sa source (H 4).’

Cette filiation peut être entendue au sens d’une continuité des acteurs impliqués dans les deux projets éducatifs, puisque le centre d’alphabétisation a été monté avec l’appui de la DNAFLA. Elle signifie surtout que pour Ba Soumaïla, c’est le dynamisme de l’alphabétisation pour adultes en bambara à Kina qui a justifié le choix du village pour accueillir une école expérimentale. La présence d’un centre d’alphabétisation en langue nationale est effectivement un des critères dans le choix des villages retenus 231 . Dans son récit, Ba Soumaïla évoque tout de même des résistances face au choix du bambara, et ce dès les débuts de l’alphabétisation en bambara.

SK Kalan yεrε nana ka na daminε minkε, maa lankolonw sɔrɔla yen minnu ye an lagosi, ko bamanankan tε fεn ye, ko o ye an ka kan dɔnnen ye. Ne ko aw m’a faamu.’ ‘Traduction.’ ‘ SK Quand l’alphabétisation a démarré, il se trouva des gens peu informés pour nous critiquer, en disant que le bambara ne vaut rien, que c’est une langue que l’on connaît déjà. Je leur ai répondu qu’ils n’avaient pas compris (H 4).’

On retrouve dans cet échange que Ba Soumaïla reconstitue un argument récurrent dans les discours des opposants à l’école bilingue, qui consiste à mettre en avant l’inutilité d’une formation qui repose sur une langue déjà connue, dans une référence implicite à l’apprentissage du français, qui implique l’acquisition d’une langue de statut reconnu. Cette opposition à un enseignement en bambara semble avoir été encore plus vive lorsqu’il a été question d’une école. Ba Soumaïla est ainsi amené à reconnaître, malgré son souci de donner l’image d’un village uni, que la majorité des villageois souhaitaient une école en français, et que les promoteurs de l’école bilingue ont dû argumenter en mettant en avant l’acquisition du français comme étant l’objectif ultime de la formation (H 4). Il semble pour sa part avoir agi comme un médiateur, conscient de l’intérêt d’accepter ces conditions, et surtout de l’absence d’alternative, puisqu’on a stipulé aux habitants qu’il n’était de toute manière pas possible d’implanter une école en dehors du cadre de l’expérimentation du bilinguisme.

Des bâtiments ont donc été construits pour l’école à partir de 1978, et l’école a pu ouvrir en 1979, dans le cadre de l’expérimentation du bilinguisme (bambara-français) qui concernait 4 écoles sur tout le territoire malien.

Notes
231.

T. Tréfault, qui a enquêté dans une autre des 4 écoles choisies pour l’expérimentation en 1979, les rappelle ainsi : « présenter une homogénéité linguistique et ne posséder aucune école de type classique, avoir une expérience en matière d’alphabétisation fonctionnelle, être accessible en toute saison » (TRÉFAULT, T. 2000 : 47).