1.3.1.2. Aperçu général

Le tableau suivant rassemble les principales informations concernant les individus retenus.

Tableau 18 Que sont devenus les premiers élèves de l’école de Kina ?
Entretien Prénom Nom Né(e) en Admis(e) en 7 ème Résidence actuelle Dernière classe atteinte Activité (autre qu’agriculture et travail domestique)
1 ère cohorte : 23 élèves ont atteint la 6 ème
K 4 A. Camara 1971 1985 Kina 6ème  
K 61 M. Camara 1969 1985 Kina 7ème agriculteur
/commerçant
K 16 S. Camara 1973 1987 Kina 7ème  
K 5 M. Camara 1967 1985 Kina 7ème  
K 43 H. Coulibaly 1972 - Koutiala 6ème  
K 22 K. Coulibaly 1972 - Kina 6ème  
K 26 T. Coulibaly 1971 1987 Kina 6ème  
K 50 I. Coulibaly 1971 - Bamako/Kina 6ème commerçant
  B. Diabaté 1971 - Dioïla 6ème  
KU 16 H. Diakité 1971 1985 Fana 7ème animatrice
KU 2 T. Keita 1969 1985 Bamako DEF+CAP commerçant
K 42 D. Konaté
  • 1971
  • - Kina 6ème  
    K 12 D. Konaté
  • 1970
  • - Kina 6ème  
    K 38 K. Konaté
  • 1972
  • 1988 Kina 7ème  
      T. Konaté
  • 1971
  • 1987 Fako ?  
      B. Koné
  • 1967
  • 1986 Côte d’Ivoire 9ème ?
    K 20 G. Koné
  • 1972
  • - Kina 6ème  
    KU 6 G. Sanogo
  • 1970
  • 1986 Kina 6ème agriculteur/
    migrant
    K 36 M. Sanogo
  • 1969
  • 1985 Kina 7ème  
    KU 1 S. Sanogo
  • 1967
  • 1985 Bamako Bac+4 enseignant vacataire (sup.)
    KU 3 A. Togola 1973 1987 Bamako DEF+CAP commerçant
    K 11 S. Traoré 1972 1986 Kina 7ème  
    K 51 K. Traoré 1972 - Salifabougou 6ème  
    2 ème cohorte : 11 élèves ont atteint la 6 ème
    K 46 B. Camara 1975 - Kina 6ème  
      M. Coulibaly 1975 1989 Niono/ Bamako 7ème conducteur de poids lourds
    K 39 S. Coulibaly 1975 1989 Kina 7ème  
    K 27 M. Konaté 1974 1989 Kina 6ème  
    K 63 T. Koné 1975 1988 Kina 7ème  
      S. Sanogo 1975 1988 Koutiala 9ème commerçant
      B. Traoré 1972 1988 Bamako ? ?
    K 45 D. Traoré 1973 1988 Kina 7ème enseignant EC
    K 41 L. Traoré 1974 1989 Kina 7ème  
      R. Traoré 1971 - décédée 6ème  
    KU 12 S. Traoré 1976 1989 Bamako DEF+ formation employé électricien
    3 ème cohorte : 20 élèves ont atteint la 6 ème
    KU 9 S. Camara 1977 1990 Bamako Bac + en cours étudiant
      B. Coulibaly 1975 1990 ? ? ?
    K 65 B. Coulibaly 1977 1990 Kina/Bamako 7ème agriculteur/ commerçant
    K 16 K. Coulibaly 1975 1989 Fana 7ème commerçant
    KU 10 D. Sangaré 1975 1991 Bamako 7ème manœuvre
    D. Koné 1976 1989 Boïfolo ?  
    B. Coulibaly 1975 1990 Koulikoro ? enseignant EC
    KU 15 K. Traoré 1977 1989 Bamako 7ème chauffeur
    K 40 D. Diakité 1975 1989 Kina 6ème  
    K 44 M. Diallo 1976 1990 Folonda 9ème agriculteur/
    migrant
      M. Diabaté 1975 - décédée 6ème  
    K 54 M. Camara 1976 1990 Kina 6ème  
    K 62 O. Konaté 1977 - Kina 6ème  
      L. Traoré 1973 1991 Bamako ? enseignant contractuel
    K 64 B. Konaté 1977 1992 Sokoro/Kina 9ème enseignant EC
    M. Coulibaly 1975 1991 Maroc ? commerçant
    K 9 A. Konaté 1975 1991 Kina 6ème  
    K 37 D. Traoré 1975 1991 Kina 6ème  
    K 55 M. Diabaté 1975 - Sondo 6ème  
    K 31 M. Coulibaly 1977 - Kina 6ème agriculteur/ commerçant

    La première colonne précise si un entretien a pu être mené avec la personne concernée. Sur ces 54 anciens élèves, 41 ont été vus en entretien : 29 à Kina et 3 dans les hameaux environnants, soit 32 entretiens de la série K ; 1 à Fana et 8 à Bamako, soit 9 entretiens de la série KU 239 .

    Une vue d’ensemble de ce tableau fait apparaître un déséquilibre entre les trois cohortes, la deuxième comptant presque deux fois moins d’individus que les deux autres. Cela s’explique en partie par un recrutement initial inégal, qui a concerné 52 élèves en 1979, 30 en 1981 et 43 en 1983.

    Nous allons tout d’abord considérer cette population de manière globale, comme nous l’avons fait pour les anciens élèves de l’école de Balan (1.2.4.1.), afin de donner un aperçu des destins scolaires et professionnels de ces premiers anciens élèves de l’école.

    Tableau 19 Destin scolaire des recrutés des trois premières cohortes.
    Dernière classe atteinte Total Avant la 6ème
    6ème
    N’a pas eu l’examen (non présenté ou échec) A eu l’examen
    7ème 9ème DEF et plus Niveau non précisé (sup. à la 6ème) Sous total :
    6
    ème et plus
    (GL 4)
    Hommes 68 35 2 3 14 3 6 5 33
    Femmes 57 36 12 5 2 - - 2 21
    Total 125 71 14 8 16 3 6 7 54

    Le tableau ci-dessus permet de constater que les élèves qui atteignent la classe de 6ème constituent une minorité parmi ceux qui sont recrutés (54 sur 125). L’espérance scolaire est fortement sexuée : si près d’un garçon sur deux atteint la 6ème, les filles ne sont qu’à peine plus d’une sur trois. Surtout, au sein de ces premières cohortes, pas une seule fille n’a dépassé la 7ème, alors que c’est le cas de 9 garçons. Pour les filles, la plus grande difficulté se situe au moment de l’examen de fin de premier cycle, qu’elles sont nombreuses à ne pas obtenir. Il faut signaler qu’elles quittent souvent l’école avant même de pouvoir le présenter. Le cas de figure d’un élève ayant l’examen mais ne poursuivant pas ses études à Fana est surtout féminin (5 filles contre 3 garçons). Pour les garçons, l’étape la plus difficile à franchir est la 7ème, les cas d’abandon ou de retrait par la famille étant nombreux lors de cette première année à Fana. Une fois ce cap franchi, la poursuite de la scolarité se fait jusqu’en 9ème, où l’examen du Diplômes d’Etudes Fondamentales (DEF) constitue une nouvelle barrière. Suite à son obtention, l’orientation en cycle professionnel ou en Lycée assure la poursuite des études pour un nouveau cycle de 3 ans.

    Pour ce qui est des destins professionnels, on peut en se référant au Tableau 18, faire le constat que la sortie de la condition paysanne est très généralement associée à la migration urbaine. C’est le seul cas où une femme (Hinda Diakité) a pu obtenir une reconnaissance sociale de ses compétences, en devenant animatrice d’alphabétisation auprès d’une ONG. Les métiers exercés varient ; les emplois dans le secteur informel, et en particulier le commerce, dominent. Seuls deux individus occupent un emploi lié à la possession d’un diplôme, titre objectivant le capital scolaire détenu : Somassa Coulibaly, titulaire d’une maîtrise qui effectue des vacations dans deux établissements d’enseignement supérieur privés ; Somassa Traoré, titulaire du DEF, qui est employé auprès de l’ex-compagnie nationale d’électricité.

    En milieu rural, la seule opportunité professionnelle liée au capital scolaire est l’enseignement. Il s’agit toutefois de statuts précaires : soit contractuel de la fonction publique (peu rémunéré, sans garantie d’emploi), soit enseignant d’école communautaire 240 (où les revenus sont encore plus réduits, et de plus aléatoires). Deux de ces enseignants sont d’ailleurs dans des villages voisins et continuent à travailler sur leur exploitation agricole pendant les vacances scolaires et les week-ends. Les cas mentionnés d’activité mixte (agricole et commerciale) ne sont pas spécifiquement liés au statut de lettré, même si, comme nous le verrons, les compétences lettrées sont mobilisées dans le cadre de leurs activités commerciales par les anciens élèves.

    On peut enfin remarquer que dans la majorité des cas, aucune activité professionnelle autre que l’agriculture et les travaux domestiques n’est exercée, ce qui permet de relativiser les cas de sortie (vécue comme intermittente, temporaire ou définitive) de la condition paysanne.

    Au vu de ces résultats, on comprend la déception des villageois face à l’école comme moyen de promotion sociale. Atteindre la classe de 6ème ne garantit aucunement de bénéficier d’un statut plus enviable que quelqu’un qui n’aurait pas été scolarisé. Atteindre la 7ème semble ouvrir de plus grandes opportunités, mais il s’agit surtout d’une possibilité individuelle de prolonger l’expérience de la migration en milieu urbain, dans des conditions qui ne sont pas nécessairement rendues meilleures par la scolarisation. Ce bénéfice individuel peut être ressenti par la famille comme une perte, dans les cas où le migrant ne réussit pas suffisamment bien pour compenser par des retours monétaires la perte de main-d’oeuvre agricole.

    L’école de Kina, pas plus que les autres, n’a pu assurer la promotion sociale dans un contexte général de restriction de l’accès à l’emploi formel via l’école (les années 1980-1990). Cependant, au-delà de cette déception prévisible, quels ont été les effets de la scolarisation sur l’organisation du village et sur les trajectoires individuelles ?

    Notes
    239.

    Quant aux autres personnes, deux sont décédées et une est perdue de vue ; deux sont établies à l’étranger, et les autres dans d’autres régions du Mali. Pour certaines d’entre elles, nous disposons d’informations fournies par leurs promotionnaires ou leur famille.

    240.

    Il s’agit d’établissements pris en charge par les communautés villageoises avec l’appui d’ONG, qui se développent depuis les années 1990. Les salaires des enseignants (ainsi que d’éventuelles prestations telles que la mise à disposition d’un logement, d’un champ, etc.) sont pris en charge par les associations de parents d’élèves. Les écoles communautaires représentaient 31,7% des écoles du premier cycle de l’enseignement fondamental du Mali en 1998-1999 (CISSÉ, M., DIARRA, A., MARCHAND, J. et al. 2000 : 26).