1.3.2.2. La scolarité et sa fin

Une socialisation à l’écrit avec le français pour horizon

Nous avons mené la partie des entretiens portant sur la scolarisation en mettant l’accent sur la question des rapports entre les langues.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que les pratiques pédagogiques de ce premier moment de l’école bilingue sont orientées vers l’acquisition du français écrit. Les entretiens confirment ce fait. Interrogés sur leurs acquis dans les deux langues à la fin de leur scolarité, les enquêtés déclarent très majoritairement avoir eu un meilleur niveau en français.

Si certains revendiquent l’acquisition des deux langues de l’écrit avec fierté (cas de Madou Camara, K 61 qui déclare que « arrivés à Fana, les élèves qui ont commencé en bambara, sont plus forts que ceux qui ont commencé directement en français, en notre temps du moins »), d’autres soulignent au contraire les difficultés rencontrées pour se mettre au niveau des élèves des écoles classiques en français (K 65). On peut expliquer ces divergences par les différences perceptibles entre le contexte de scolarisation de la première cohorte et celui de la troisième, cette dernière ne bénéficiant plus du contexte initial de meilleur suivi. Un des enquêtés de la troisième cohorte dont nous étudierons en détail les productions dans les parties suivantes, Moussa Coulibaly, déclare même ne pas avoir été formé au « balikukalan», l’alphabétisation en bambara 242 . Nous verrons dans l’étude de ses cahiers, qui mêlent français, bambara et arabe translittéré en graphie latine, que l’orthographe du bambara est le plus souvent francisée, le code orthographique officiel du bambara semblant, sinon ignoré, du moins très peu suivi.

A partir des récits portant sur les pratiques scolaires, on peut reconstituer une socialisation à l’écrit en bambara essentiellement centrée sur l’apprentissage de la technique de l’écriture (l’alphabet, la logique syllabique). On mesure la différence avec les pratiques actuelles qui valorisent la production écrite en général (sous l’inspiration du « texte libre » emprunté à Freinet), et en bambara en particulier. Aujourd’hui, la rédaction en bambara est maintenue jusqu’à la fin du premier cycle, sous le nom de walafili. Ce terme est inconnu des enquêtés des premières cohortes de l’école. Quant à la pratique de cet exercice la plupart déclare n’avoir composé de rédaction qu’en français ; Madou Camara dit certes en avoir fait dans les deux langues, mais ne cite que des titres d’énoncés en français (« histoire », « récoltes ») alors que l’entretien se fait essentiellement en bambara, ce qui suggère que la rédaction reste pour lui un genre associé au français (K 61).

Notes
242.

Contrairement à ce que suggère son étymologie, « formation pour adulte », le terme de « balikukalan » est le plus souvent employé sur notre terrain pour désigner l’apprentissage du bambara écrit, et non la filière éducative que constitue l’alphabétisation pour adultes en bambara. Il est très couramment question du « balikukalan » appris à l’école par les enfants.