1.3.3.1. Des profils contrastés

Nous pouvons redéfinir notre hypothèse générale formulée en 0. L’attention portée à la pluralité des contextes de socialisation à l’écrit a été précisée en 1.3.2. en introduisant, pour la GL 4, la question de la variation intra-individuelle. Dans l’étude des trajectoires individuelles qui va suivre, nous travaillons à partir des hypothèses suivantes.

1. La pluralité des socialisations à l’écrit s’organise de manière plus ou moins homogène selon le statut de l’individu (défini par son sexe, sa position dans sa famille, le statut socio-économique de sa famille notamment) et sa trajectoire ; ce statut et cette trajectoire déterminent la possibilité ou non d’une valorisation sociale des compétences acquises à l’école, et donc l’établissement d’une continuité entre la socialisation scolaire à l’écrit et la socialisation professionnelle.

2. Dans les usages actuels de l’écrit des individus étudiés, on observe le réinvestissement de compétences et de dispositions lettrées dans des contextes distincts de ceux dans lesquels elles ont été constituées ; ce processus, que nous définissons comme l’appropriation de l’écrit à l’échelle individuelle, est variable selon le profil de l’individu.

3. La pluralité des socialisations à l’écrit (scolaire, professionnelles et migratoires) intervient comme un catalyseur de ces transferts ; ceux-ci ont toutefois un sens différent selon le profil du scripteur : s’ils sont assumés et valorisés dans le cas d’une valorisation professionnelle ou collective des acquis scolaires, il peut y avoir dans d’autres cas un enjeu à séparer des domaines par des usages différenciés de l’écrit (changement de langue, changement de support, par exemple). A ce stade de l’analyse, il est nécessaire de spécifier le contenu de ce qui est repris ou non d’un contexte à l’autre, en précisant s’il s’agit d’une aptitude linguistique, de la maîtrise de dispositifs graphiques, d’une conception de l’écrit ou des langues de l’écrit, etc.

Les points 2 et 3 peuvent être partiellement établis dès maintenant à partir des entretiens, qui donnent un aperçu des pratiques. Mais ces hypothèses, qui sont centrales pour l’ensemble de notre recherche, seront reprises et approfondies en entrant dans le détail des pratiques dans les parties suivantes.

Le point 1 s’appuie sur le constat général suivant : les villageois qui, résidant actuellement au village, ont les pratiques de l’écrit les plus régulières, sont ceux dont la socialisation scolaire à l’écrit a été renforcée dans les contextes ultérieurement traversés. A cet égard, le cas typique est celui d’hommes, dont les compétences acquises à l’école sont sollicitées dès la période scolaire par la famille, puis converties au sein de l’AV en compétences professionnelles, et qui ont des pratiques de l’écrit qui témoignent du transfert de certaines de ces aptitudes à la sphère privée. Ce profil, observé pour la GL 1 et certains anciens élèves de la GL 3, est proche de celui des premiers alphabétisés (GL 2). Il n’est pas sûr que parmi les anciens élèves de la GL 4 un profil aussi homogène puisse être observé, mais certains individus ont des profils qui se rapprochent de ce modèle.

La méthode d’investigation suivie pour la GL 4 (investigation systématique à partir d’un critère objectif), a permis de rencontrer ces individus, aux compétences socialement valorisées, mais aussi les autres, amenant à relativiser ce constat, par une attention à d’autres cas qui sont apparus comme plus fréquents.

Nous mettons en œuvre dans cette section un nouvel usage du portrait : non plus revue exhaustive comme pour la GL 1, ni mise en valeur d’un cas exemplaire (GL 2), mais approfondissement de l’analyse par des études de cas, où les traits pertinents que nous avons dégagés (propriétés sociales telles que sexe, parcours scolaires, pratiques de l’écrit, valorisation sociale des compétences) prennent tout leur sens dans leur articulation. Les phénomènes de transferts des dispositions d’un champ à l’autre sont ainsi mieux perceptibles que dans une approche thématique.

Nous partons des profils les plus homogènes du point de vue de la continuité entre socialisation scolaire et professionnelle à l’écrit (1.4.), pour étudier ensuite ceux pour lesquels les dispositions acquises durant la socialisation scolaire ne sont pas immédiatement converties en aptitudes professionnelles mais sont toujours mobilisées dans d’autres champs (1.4.), avant de nous arrêter sur des cas où ces dispositions semblent en sommeil, voire perdues (1.3.3.4.).