Se tenir prêt

Quelques femmes disponibles

C’est d’abord le cas de quelques femmes qui tout en étant peu sollicitées, apparaissent comme disponibles et ouvertes à des formations, dont nous dressons ici trois brefs portraits.

L’alphabétisation des femmes a été mise en place en 1989, quelques rares femmes ayant assisté auparavant aux sessions rassemblant les hommes. A cette date, une douzaine de femmes a suivi régulièrement ces sessions, la plupart d’entre elles ayant été scolarisées auparavant. Ce programme d’alphabétisation, sans lien avec des projets de développement, et en l’absence d’une rémunération des animatrices, ne s’est poursuivi que quelques années, reprenant épisodiquement mais sans véritable continuité.

Alima Camara (K 4) a atteint la 6ème avec la première cohorte de l’école. Elle est la fille d’un des premiers formateurs d’alphabétisation, Baba Camara (K 10, GL 2). Bien qu’admise en 7ème, elle n’a pas continué. Elle a été mariée à 16 ans dans la grande famille Coulibaly, à un homme non lettré. Elle a été la première animatrice des sessions d’alphabétisation. Elle a suivi des formations pour cela à Fana, d’une durée de quelques jours à une semaine, malgré les réticences de son mari envers ces déplacements. Suite à l’abandon de l’alphabétisation, ses pratiques sont aujourd’hui très réduites. Son statut de secrétaire de l’association des femmes l’amène à tenir des listes de présence, lui procure de rares occasions d’écrire en bambara. Ses pratiques personnelles sont pratiquement inexistantes (elle déclare ne pas avoir écrit de lettre depuis 7 ans).

Salimata Traoré (K 11) est la seule femme ayant atteint la 7ème à résider aujourd’hui au village. Elle fait partie de la première cohorte de l’école, et déclare qu’une maladie (« bana », peut-être par euphémisme sa première grossesse) a mis fin à sa scolarité. Son père, non alphabétisé ni scolarisé, a achevé l’apprentissage oral du Coran. Elle est issue d’une fratrie bien scolarisée, ayant notamment un frère cadet qui a atteint la 7ème dans la deuxième cohorte (K 41) et une sœur cadette qui a atteint la 6ème dans la troisième (K 37). Elle s’est occupée pendant 3 ans de ce qui est pudiquement désigné comme une « pharmacie » villageoise, soit la vente de moyens contraceptifs mise en place par une ONG dans le cadre du planning familial, et qui impliquait des écrits en bambara. Cette activité faiblement rémunérée a été interrompue, ce qu’elle désigne comme le terme de sa carrière de scripteur. Elle résume en une formule lapidaire le lien entre usages professionnels de l’écrit et maintien des compétences : « E tε baara la, e tε sεbεnni kε », Tu n’as pas de travail, tu n’écris pas.

Aminata Konaté (K 9), qui bénéficie également d’une configuration familiale favorable dans sa famille d’origine (elle est issue de la grande famille Konaté où vivait Ba Soumaïla, sœur cadette d’une des filles de la première cohorte qui a obtenu l’examen), a été scolarisée 7 ans, jusqu’en 6ème année (classe qu’elle a redoublée une fois, avant d’obtenir l’examen). Elle a ensuite été retirée de l’école pour se marier à 17 ans, à Moussa Camara 255 (K 48, GL 3), fils de Baba Camara (GL 2). Elle est partie à 20 ans, après son mariage et la naissance de son premier enfant, travailler quelques mois à Bamako (comme bonne), avant de revenir au village. Elle a alors suivi les formations d’alphabétisation, pendant deux ans, avant de devenir animatrice, durant deux ans également. Cette fonction lui a été retirée pour être confiée à Maïmouna Touré (école classique 7ème) 256 . C’est la seule femme à revendiquer, sur un ton de gêne, comme si cela était difficilement avouable par une femme, son désir que d’autres opportunités se présentent de mettre en valeur ses compétences.

Nous verrons que ces cas sont minoritaires parmi les femmes lettrées, beaucoup ayant abandonné toute perspective d’acquérir un statut grâce aux acquis scolaires.

Notes
255.

Sur ces trois cas, le statut lettré ou non du conjoint, semble influer, non pas sur l’âge de la fin de la scolarité (les deux mariages avec des hommes scolarisés se sont faits au détriment de la scolarisation) mais sur la liberté donnée à la femme de valoriser ses compétences, Atoumata devant faire face à une opposition que ne rencontrent ni Salimata ni Aminata. L’hypothèse d’un lien entre alphabétisation de la femme et alphabétisation du conjoint est à explorer sur le terrain malien.

256.

Nous avons évoqué son cas ci-dessus. Ayant grandi hors du village, elle ne relève d’aucune des générations lettrées identifiées pour Kina, mais par sa formation (en français) et son âge (elle est née en 1965), elle peut, comme Thiémokho Coulibaly, être rapprochée de la GL 3.