1.4. Conclusion de la 1ère partie

1.4.1. Alphabétisation et école

L’analyse des différents profils de lettrés fait apparaître tout d’abord que les effets sociaux des différentes filières sont fortement différenciés. L’alphabétisation pour adultes a renforcé des lignes de partage existantes : entre hommes et femmes, familles au statut socio-économique reconnu et familles en marge de la dynamique villageoise de développement. Cela tient d’une part à son recrutement sélectif, d’autre part au fait que l’essentiel des lettrés ont été associés à l’exercice local des responsabilités.

En revanche, l’école introduit des bouleversements qui sont beaucoup moins « contrôlés » par les dominants : la socialisation est plus longue ; elle intervient à un âge crucial (avant le mariage, initiant parfois un parcours migratoire) ; elle introduit des changements significatifs, même si la collectivité contrôle aussi largement ses effets.

Pour reprendre la question du pouvoir de l’écrit, l’élément central est le jeu qu’introduit l’écriture entre la volonté de ceux qui détiennent le pouvoir social (hommes d’âge mûr) d’en contrôler les effets et le débordement toujours possible par le lettré de ces limites, en tant qu’il dispose effectivement de compétences que les autres n’ont pas. Or l’école, plus qu’une alphabétisation pour adultes circonscrite et intervenue dans un contexte de rareté des compétences, a créé de telles opportunités d’usages inattendus, incontrôlés. Localement, la dialectique de l’écriture et du pouvoir a donc pris des formes variables selon le contexte socio-historique.

Le contrôle social en amont de l’alphabétisation a permis de la réserver à des individus appelés à diriger les affaires publiques (même si elle aboutit à redéfinir les rôles, comme dans le cas de Mamoutou Coulibaly qui prend le dessus sur ses frères). En aval, les débouchés garantis amènent les lettrés à se plier à une socialisation professionnelle à l’écrit destiné à la collectivité, leur laissant éventuellement la possibilité d’investissements parallèles dans des sphères plus privées.

Au contraire, l’école a un recrutement plus large. La scolarisation produit des lettrés auxquels on ne confie parfois aucune tâche, qui ne bénéficient d’aucune opportunité. Mais dans ce dernier cas certains investissent compétences et dispositions dans des domaines semi-privés (commerce) ou en prolongeant l’expérience de la migration scolaire. Il faut également replacer la succession des générations lettrées analysées dans un contexte socio-économique dégradé, avec des revenus cotonniers en chute, un morcellement des exploitations qui impose un recours plus individualisé à l’écrit.