Le texte coranique comme support de lecture et d’écritures

Lettrés en arabe

La lecture apparaît d’abord comme une appropriation, au sens étroit de faire sien, du texte coranique. Le point d’achèvement de la première étape de l’apprentissage coranique est la récitation orale du Coran dans son intégralité, comme nous l’avons indiqué plus haut (cf. supra 1.1.2.1). Si l’on a indiqué que l’apprentissage par cœur des sourates nécessaires à l’accomplissement de la prière quotidienne ne suppose pas nécessairement le recours à l’écrit, l’apprentissage par cœur de tout le livre intervient au terme d’années d’école coranique pendant lesquelles la copie joue un rôle important au quotidien. La récitation du Coran est une cérémonie importante, qui est la démonstration publique de sa maîtrise. Rappelons que l’expression pour désigner la récitation du Coran est : « ka kurane jigin », litt. descendre le Coran. Cette traduction littérale montre que l’objectif est bien de s’approprier le texte, de s’incorporer l’écrit mémorisé 275 . Il semble que l’on ait là la matrice de certaines formes de lectures, qui consistent à se remémorer le texte. La lecture publique et à haute voix intervient régulièrement dans les pratiques religieuses : à la mosquée lors des prêches, mais parfois aussi pour des occasions particulières, comme j’ai pu l’observer lors d’une fête de la Tabaski en 2003.

Cependant, toutes les lectures ne sont pas de cet ordre. Nous avons évoqué les pratiques pédagogiques très « analytiques » du maître de la médersa, qui recourt à des textes religieux mais pour des propos pédagogiques concernant l’histoire ou la grammaire par exemple.

De plus, contrairement à ce que pourrait laisser penser cette première approche, la lecture est souvent accompagnée de pratiques d’écriture. S’ils s’en rapprochent par leur intérêt pour les lectures religieuses et leur pratique « intensive » d’un nombre restreint de textes, les lettrés en arabe ne peuvent toutefois pas être décrits selon le modèle évoqué plus haut du lire seulement. En effet, le texte du Coran est le support de manipulations multiples plus ou moins tolérées. Nous étudierons plus loin ces pratiques magico-religieuses de l’écrit, mais soulignons dès à présent que le Coran est souvent parcouru à la recherche de passages destinés à des usages précis (une fois copiés sur divers supports). Bouya Coulibaly, ancien imam et maître d’école coranique, est ainsi fréquemment sollicité pour la confection de nasi (« eau bénite », confectionnée par lavage d’une planche où a été écrit à l’encre un texte coranique). L’écrit fait aussi l’objet de pratiques numérologiques, de déploiements graphiques aux significations particulières.

La possession du Coran distingue donc les individus qui vont pouvoir se spécialiser dans ce type de tâches, même si d’autres textes religieux, notamment des brochures bilingues français-arabe ou bambara-arabe, sont disponibles.

Signalons que faute de compétences en arabe, je n’ai pu avoir qu’un regard extérieur sur ces pratiques, me fiant aux déclarations des enquêtés, sans pouvoir proposer un examen précis des textes.

Notes
275.

Pour la Mauritanie voisine, C. Fortier résume ainsi la visée de l’enseignement coranique : « Lecture et écriture apparaissent subordonnées à la mémorisation et à la récitation qui constituent la finalité de l’enseignement coranique. Le Coran étant considéré par les musulmans comme l’expression du verbe divin, se l’approprier c’est faire chair ce message, afin qu’il reste indéfiniment vivant » (FORTIER, C. 2003).