2.1.3.1. Conditions de la prise de vue

La photo d’écrit vs le portrait

Une réflexion sur la photographie d’écrit suppose une mise en contexte qui rapporte cette pratique scientifique à la perception culturelle du geste de photographier.

La plupart des photos ont été prises lors des entretiens de la série K (cf. description en Annexe 1) portant, d’une part sur la trajectoire d’alphabétisation, d’autre part sur les pratiques de l’écrit de l’enquêté. Ces entretiens ont eu lieu dans leur grande majorité au domicile des enquêtés, souvent dans la cour de la concession, dans un espace plus ou moins calme et retiré, mais visible des membres de la famille qui y circulent, voire des personnes de passage. Précisons que, dans le village de Kina, personne ne dispose d’un appareil photo, mais que les habitants possèdent parfois des portraits, pris soit par des photographes venus faire une tournée dans le village lors de fêtes ou d’occasions particulières, soit en studio, en ville.

Du coup, l’usage d’un appareil photo suscite un intérêt et souvent une demande de portraits de la part des enquêtés ou éventuellement des personnes qui assistent à l’entretien. Aux moments de photographie d’écrits se sont ainsi greffées des séances de portraits des enquêtés et de leur famille, photos qui ont ensuite été données aux intéressés lors du séjour suivant, formes, certes minimes, de contre don.

La rareté de la photographie n’implique pas sa méconnaissance. Au contraire, le souci est constant « d’imposer les règles de sa propre perception », comme le relèvent les auteurs de l’ouvrage Un art moyen à propos des usagers français, notamment populaires, de la photographie (BOURDIEU, P., BOLTANSKI, L., CASTEL, R. et al. 1965 : 120). Les portraits sont toujours posés, le plus souvent de face, et j’ai respecté les choix des enquêtés : beaucoup changent de tenue vestimentaire avant de prendre la pose, certains affinent la mise en scène en demandant à être pris dans un cadre particulier, avec des personnes et parfois des objets choisis. Parmi ceux qui posent avec un objet (outil de travail : houe d’un cultivateur ; cage en osier d’un éleveur de volaille ; ou autre : radio) quelques uns ont choisi un livre ou un cahier. Sans surprise, il s’agit de trois personnes dont le statut professionnel est lié à l’écriture : Abdoulaye Coulibaly, maître de la médersa, pose avec une riche édition du Coran ; Hinda Diakité (ancienne élève de l’école de Kina qui a atteint la classe de 7ème), secrétaire d’une association de femmes à Fana, se prête à la photo en tenant ostensiblement son cahier dans les mains ; Alou Traoré, devin, demande à être pris dans son cadre de travail, au milieu de documents épars.

Ainsi entre le portrait, posé, offert et l’écrit, photographié pour mon enquête, il n’y a pas de place pour une photographie prise sur le vif de l’enquêté en train d’écrire, sauf dans le cas d’une mise en scène telle que celle de Demba Coulibaly. A la suite d’un de nos entretiens, ce dernier a en effet choisi de me montrer sa pratique de l’écriture à la plume (« kalamu» en bambara, terme qui vient de l’arabe), technique qu’il n’utilise jamais dans ses cahiers, ce qui montre bien qu’il ne s’agit en rien d’une photo « sur le vif ». Nous avons choisi de donner en ouverture de cette 2ème partie une des photos prises à l’occasion de cette séance, assemblage fortuit de différents instruments d’écriture de ce scripteur. Il ne s’agit pas d’un montage, mais dont la rencontre de ces différents éléments (plume, lunettes et manuel scolaire) est liée à notre interaction : c’est à ma demande qu’il a été chercher les documents dont il demande, et à son initiative qu’il s’est livré à une démonstration de son aptitude à manier la plume (Doc. 2 Ce qu’il faut pour écrire).