Comment ce recueil de textes a-t-il été constitué en corpus ? Un corpus est un ensemble de documents pour lesquels on se donne des critères d’inclusion et des principes d’organisation interne. Ici les uns et les autres découlent des circonstances du recueil de ces écrits et de leurs caractéristiques formelles
Les conditions du recueil de ces écrits en font des écrits précisément contextualisés. L’unité de lieu caractérise tout d’abord ce corpus. Cela tient à ce que j’ai commencé à photographier les écrits au moment où j’ai centré l’enquête sur le village de Kina. Les écrits ont donc été photographiés pour l’essentiel à Kina 279 (s = 31 ; p = 334) ou dans des hameaux voisins : (s = 3 ; p = 9). L’enquête sur les premiers élèves de l’école m’a amenée à photographier quelques écrits auprès d’anciens élèves de l’école de Kina interrogés à Salifabougou (s = 1 ; p = 4), Fana (s = 2 ; p = 5) et Bamako (s = 1 ; p = 12). Le repérage des écrits des devins m’a conduit dans les hameaux voisins où consultent les habitants de Kina (s = 2 ; p = 16). Comme on peut s’y attendre compte tenu de l’histoire et des rapports entre les villages, je n’ai aucun écrit du village de Balan pourtant très proche (3 km).
La contextualisation renvoie par ailleurs à la connaissance des scripteurs à travers d’autres matériaux ethnographiques (entretiens et observations). La plupart des 380 photographies (s = 33 ; p = 294) sont des écrits détenus par les enquêtés et photographiés lors d’un entretien portant sur la trajectoire d’alphabétisation et les pratiques de l’écrit. La contextualisation est donc double : d’une part, pour chacun de ces écrits les caractéristiques sociales du scripteur sont connues et notamment le détail de ses socialisations à l’écrit ; d’autre part, la pratique de l’écrit documentée par la photographie peut être réinscrite dans l’ensemble des pratiques du scripteur, et rapportée au commentaire qu’il en donne dans l’entretien. Précisons qu’à ces photographies prises auprès d’un enquêté avec lequel j’ai effectué un entretien enregistré, s’ajoutent celles prises auprès quelques autres scripteurs avec lesquels j’ai eu des discussions plus informelles (s = 3 ; p = 49). Le corpus constitué retient aussi les écrits détenus par trois devins (p = 17) ainsi qu’un cahier fourni par la mère d’un scripteur absent du village au moment de l’enquête (p = 18).
C’est ce rapport entre des documents et un scripteur précisément identifié qui est le principe d’organisation premier du corpus : les écrits sont classés par scripteur, puis classés selon leur support (cahiers, carnets, feuilles volantes) et numérotés soit par ordre de prise quand il s’agit de documents isolés, soit par page quand il s’agit de cahiers.
Le terme de scripteur renvoie au geste même d’écrire, aussi cette attribution à un enquêté des écrits photographiés lors de l’entretien réalisé avec lui pose la question de l’autographie. Précisons d’emblée que les écrits retenus pour le corpus d’écrits villageois (CEV) sont manuscrits, qu’ils s’inscrivent ou non sur un support imprimé (une mention sur un calendrier est ainsi considérée comme un écrit manuscrit, le rapport entre manuscrit et imprimé étant bien entendu à étudier). A quelques exceptions près, les enquêtés se présentent comme les scripteurs des écrits montrés. Ces exceptions sont pour l’essentiel les trois devins et deux lettrés en arabe (s = 5 ; p = 33) qui m’ont donné à photographier des textes qu’ils possèdent sans toujours préciser lesquels sont éventuellement de leur main ; je dispose de même de quelques écrits détenus par ma logeuse Assitan Coulibaly, qui ne sait pas écrire (p = 3). Pour ce qui est des autres écrits, quelques-uns comportent des notations qui ne sont pas de la main du scripteur, mais il s’agit d’un phénomène marginal.
Désormais : « s = » indique le nombre de scripteurs dont il est question et « p = » le nombre de photos d’écrits correspondantes. Cf. ci-dessous les remarques sur les problèmes méthodologiques d’un décompte par photos.