2.1.4.2. Modèles et genres, codes et normes

Enjeux

Une fois précisée la manière dont nous abordons les écrits recueillis, nous pouvons présenter notre cadre d’analyse. Rappelons que notre recherche vise à cerner les contours de l’appropriation de l’écrit sur notre terrain. L’idée initiale de notre enquête consistait à étudier les écrits « non-fonctionnels », en supposant que les écrits « fonctionnels », simples reproductions de ce qui est enseigné dans les séances d’alphabétisation, ne manifesteraient aucune originalité. Cette partition empruntée aux acteurs de l’alphabétisation a vite été abandonnée. Tout d’abord pour une raison pratique, l’impossibilité de distinguer les usages fonctionnels et non fonctionnels sur le terrain. Par ailleurs d’un point de vue théorique, cette problématique apparaît doublement faible : premièrement, si on considère que les usages de l’écrit sont socialement construits on ne peut pas considérer que l’écriture remplit des « fonctions » inscrites dans la technologie de communication même ; deuxièmement, le fait de situer l’appropriation dans l’originalité, l’écart maximal à la norme, est la projection d’un fantasme de lettrée, comme le montre bien les travaux sur la copie (BARRÉ-DE MINIAC, C. 2000). Finalement, il est apparu illusoire de chercher à situer l’appropriation dans un type d’écrits, ou dans un usage déterminé. Tous les écrits sont socialement construits et liés à une socialisation particulière à l’écrit. Cependant, à l’intérieur des écrits, la question du rapport aux normes et modèles imposés permet de marquer des différences. Nous rejoignons le propos de Florence Weber qui souligne que :

‘les frontières ne sont ni entre écrit et oral, ni entre écrit ritualisé et écrit personnel, mais bien plutôt entre une plus ou moins grande distance avec les modèles proposés par l’institution, sans trancher pour l’instant la question de savoir si cette distance est subie (ignorance des modèles) ou volontaire (refus de modèles connus), si la proximité est familiarité, aisance (qui permet le jeu avec le modèle) ou soumission (qui pousse à la reproduction mécanique des modèles). L’analyse devrait donc se concentrer sur les modalités de la diffusion des différents modèles (WEBER, F. 1995 : 157).’

Le lieu de l’appropriation peut ainsi être déterminé comme les manières socialement différenciées dont les scripteurs se saisissent de ces modèles. Ce changement de perspective impose une appréhension globale des usages de l’écrit (et non d’un seul type d’écrit), qui permette de repérer les modèles scripturaux (agricoles, scolaires, administratifs, religieux…) qui circulent puisque ce sont à ceux-ci que se rapporte, fût-ce sur le mode de l’écart, l’écrit « pour soi ».