Pour appréhender ces modèles, il nous a paru opératoire dans la description et l’analyse de notre corpus, de nous appuyer sur une distinction entre modèles, genres, codes et normes.
Nous désignons par « modèles » les modes de structuration de l’espace graphique. Ceux-ci s’exercent à différentes échelles. Ainsi, pour prendre l’exemple des modèles scolaires, nous parlons du modèle du cahier scolaire dans son ensemble pour analyser les éléments du paratexte 281 (titre, page de garde, numérotation des pages), et le découpage du cahier dans son ensemble (sections indiquées par des dates) ; nous renvoyons au modèle de la page scolaire ou de la section écrite un jour pour analyser des éléments tels que la date en ouverture, les titres soulignés, les corrections, les dispositifs graphiques contraints de présentation des exercices tels que C. Hubert et J. Hébrard les ont analysés (HUBERT, C. & HÉBRARD, J. 1979).
Ces modèles sont dégagés par l’analyse. Le concept de « genre » quant à lui désigne des formes historiquement et socialement constituées. Nous reprenons à Bakhtine une définition qui articule l’idée d’une stabilité de ces formes de production du discours et d’une possible créativité à partir de ces cadres (BAKHTINE, M. 1984 [1979]). Nous appliquons la notion de genre à deux échelles : celle des genres discursifs par lesquels nous pouvons identifier des unités textuelles ; celle du cahier, dont nous poserons dans la partie suivante la question de sa caractérisation possible comme un genre (cf. infra 3.1). Pour ce qui est de la première échelle, qui nous occupe dans cette partie, une première approche peut s’appuyer sur les catégories mobilisées par les acteurs. A ce titre, certains types de textes, par exemple la formule (« kilisi »), sont aisément identifiables comme tels car désignés par un terme. Cependant, dans le contexte d’une société où un processus d’alphabétisation est en cours, s’en tenir aux genres reconnus comme tels conduit à manquer certaines recompositions : en effet, les seuls termes disponibles renvoient à deux ordres distincts, d’une part les catégories disponibles pour les genres discursifs oraux (comme dans l’exemple de la formule), d’autre part celles que proposent les traditions lettrées (par exemple l’exercice pour la culture scolaire ; le tableau comptable pour les formations professionnelles ; la chronique, tariku, pour la tradition lettrée de l’islam). Pour décrire les pratiques observées, nous pourrons avoir recours à des catégories qui ne sont pas identifiées par une expression particulière parce qu’elles ne relèvent ni de la transcription d’un genre oral, ni d’une forme constituée dans les traditions lettrées existantes, comme par exemple la liste de courses - ce qui ne signifie pas qu’elle ne recourt pas à des modèles, scolaires et professionnels.
Modèles et genres ont en commun de désigner des unités délimitées, quelle que soit l’échelle considérée. Codes et normes sont des références plus transversales.
Nous utilisons le terme de « code » pour toute forme figée, déterminée par une institution, comme par exemple le code orthographique ou la grammaire. Rappelons avec Pierre Bourdieu que la codification est une démarche liée au savoir écrit sur la langue. Celle-ci en effet « n’est pas un code à proprement parler : elle ne le devient que par la grammaire, qui est une codification quasi juridique d’un système de schèmes informationnels » (BOURDIEU, P. 1987 : 98). Sur notre terrain, des codes spécifiques apparaissent comme l’écriture du bambara en script (convention « typographique » si l’on peut dire, en empruntant un terme en principe réservé à l’imprimerie).
Nous appelons « normes » les formes qui n’ont pas fait l’objet d’une telle explicitation, mais qui, incorporées lors de la socialisation à l’écrit, régissent les manières d’écrire. Ainsi, nous étudierons comment fonctionne dans certains cahiers la norme de la prise de notes ou du style « télégraphique », norme qui ne fait l’objet d’aucun apprentissage spécifique (ce n’est pas un code) et qui porte sur l’expression écrite elle-même (au-delà du modèle graphique).
Nous reprenons un terme habituellement mis en œuvre dans l’analyse d’ouvrages imprimés pour la description des cahiers. Nous justifierons plus loin la pertinence du transfert de ce concept d’un champ (l’imprimé) à un autre (le manuscrit, plus précisément les cahiers) dans la partie consacrée au cahier (cf. supra 3.1.2.3).