Deux intérêts majeurs

Au-delà de l’affirmation unanime selon laquelle la maîtrise de l’écriture est d’une grande importance, deux motivations à l’alphabétisation émergent des déclarations de manière récurrente, qui feront l’objet d’analyses plus détaillées dans le cours de notre réflexion, mais qu’il nous faut indiquer ici au moins brièvement.

La première est massivement avancée : il s’agit de l’argument selon lequel l’écriture permet de « régler soi-même ses propres affaires », de « se débrouiller soi-même ». Nous allons étudier dans la section suivante (2.2.1.2.) l’ensemble des expressions qui renvoient à l’idée d’une indépendance conquise par l’écrit. Il s’agit là d’un champ complexe de notions et d’expressions qu’il nous faut analyser plus en détail. C’est le type de réponse de loin le plus courant. Les réponses qui s’adossent à ce type d’argument vont de déclarations de principe sur le mode des discours que l’on vient d’évoquer, à des descriptions de pratiques où l’écriture apparaît effectivement comme ce qui permet de se passer d’un intermédiaire.

La deuxième motivation exprimée de manière fréquente, quoique moins dominante, consiste à souligner la fonction de conservation qu’assure l’écrit. Certains enquêtés citent même en tout premier la force de pérennisation qu’a l’écriture 289 .

Ainsi Thiémokho Koné déclare :

NK E nafaba yεrε de b’a la ! Sεbεnni tε maralikεyɔrɔ ye wa ? A bε hakili tεmε marali la... N’i ye fεn sεbεn k’a bila, hali san kεmε, ni sεbεnni ma [tunun] n’i mago jɔra a la tuma o tuma, i b’a sɔrɔ.’ ‘ Traduction : ’ ‘ NKEh ! [L’écriture] a vraiment un intérêt considérable ! N’est-elle pas un moyen de conservation ? Elle dépasse l’esprit pour ce qui est de la conservation... Si tu écris quelque chose et que tu le laisses, même cent ans plus tard, si cet écrit n’est pas perdu, quand tu en auras besoin, tu le trouveras (K 63).’

Bouya Konaté quant à lui (GL 2 + études coraniques traditionnelles), propose une figure inverse de ce thème. Il indique qu’il a jeté les papiers sur lesquels il a noté les dates et heures de naissance de ceux de ses enfants qui sont décédés en bas âge, sans doute pour ne pas raviver ces souvenir (« denkasaaracayalen,ny’abεεfilik’abɔnbolo», les accidents se sont multipliés pour mes enfants, alors j’ai jeté tout cela pour m’en débarrasser, K 67).

Ici encore on peut penser que ces déclarations véhiculent un stéréotype, tant ce thème du Verba volant, scripta manent nous est familier. Mais les entretiens montrent que cette référence à l’écrit comme support de la mémoire est souvent appuyée sur des exemples très précis, qui suggèrent qu’il s’agit bien là de l’un des usages sociaux de l’écrit. Nous verrons que cette dimension de l’écrit comme aide-mémoire apparaît pleinement lorsque l’on étudie les cahiers (cf. infra 3.3).

Notes
289.

K 3, K 15, K 30, K 63.