2.3. L’écrit entre public et privé

Nous allons maintenant entrer dans l’analyse du détail des pratiques observées, que nous mènerons de deux manières différentes. Dans un premier temps (2.3.), l’étude s’ordonne selon la considération de deux grands domaines d’écriture (écrits agricoles et administratifs) auxquels s’ajoute l’étude d’une pratique transversale à différents champs : la correspondance. Dans un second temps (2.4.), l’analyse procède au repérage de formes graphiques récurrentes à travers ces différents domaines et pratiques.

La logique qui préside à la revue de deux domaines retenus n’est pas réductible à une progression thématique. Chacun des domaines dégagés se caractérise par l’articulation entre des institutions, associées à des lieux et des acteurs déterminés, et des usages de l’écrit spécifiques, liés à une configuration singulière des langues de l’écrit. Il s’agit donc d’une échelle d’analyse adéquate pour étudier la mise en place des modèles scripturaux et la manière dont les acteurs s’en saisissent, dans la perspective qui est la nôtre de comprendre ce qui se joue entre les écrits publics et les écrits à soi.

Les écrits agricoles sont dominés par le modèle de l’écrit fonctionnel que vise à développer la CMDT, à travers tout le système de l’encadrement agricole relayé par l’agent de la CMDT en charge du village et par les membres des AV. Ces écrits, où le bambara domine aux côtés d’usages plus restreint du français, sont des écrits de travail, dont les modèles collectifs, à l’échelle du village, sont réappropriés par les acteurs pour la gestion de leur exploitation.

Les écrits administratifs sont pour une large part des écrits officiels en français dont les centres sont extérieurs au village (notamment la mairie aujourd’hui à Balan). Certaines fonctions d’administration sont déléguées à des acteurs villageois qui usent du bambara. Les usages de l’écrit comme instrument de contrôle et d’identification sont ici centraux. Mais ces modèles sont eux aussi souvent repris à l’échelle familiale ou individuelle dans des visées qu’il faudra élucider.

Notons qu’un pôle fort de production d’écrits manque à cette revue, l’école. Celle-ci est une institution physiquement présente dans l’espace du village qu’elle contribue à structurer, tout comme elle en modèle l’histoire comme nous l’avons montré dans notre 1ère partie. Les pratiques scolaires de l’écrit débordent, au Mali comme ailleurs, les limites physiques de ce lieu. Nous avons évoqué précédemment l’importance des instituteurs dont le rôle de médiateurs de l’écrit dépasse l’exercice de leurs fonctions. Cependant, ayant choisi de centrer notre étude sur les pratiques de l’écrit des adultes, nous n’aborderons pas ici les pratiques actuelles de l’écrit scolaire, différentes des pratiques pédagogiques connues par les scripteurs enquêtés. La prégnance des modèles de l’écrit scolaire, en bambara comme en français, retient bien sûr notre attention tout au long de ce travail, mais celles-ci sont reconstituées à travers l’observation des écrits et les entretiens sur la socialisation scolaire passée plutôt que par les observations actuelles.

Quant aux pratiques magico-religieuses, nous aurons l’occasion de les aborder dans le troisième chapitre de cette partie, où nous procéderons à une approche par genres discursifs et formes graphiques.