Gérer une campagne cotonnière

La CMDT organise la production cotonnière tant sur le plan de l’encadrement technique que sur celui de la gestion matérielle et financière. Nous allons détailler le rôle de l’écrit sur la durée d’une année en suivant globalement les étapes d’une campagne de production agricole.

Délimiter des champs

La promotion de la culture cotonnière par la CMDT comme culture intensive a modifié en profondeur l’organisation socio-économique de la région de Fana.

Elle a tout d’abord contribué à fixer les paysans sur des champs, là où les communautés rurales pratiquaient auparavant la culture sur brûlis. Cette technique consiste à défricher des terres, cultivées pendant quelques années (3 ou 4 ans) puis laissées en jachère pendant une durée de 15 à 20 ans. L’introduction de la culture attelée, qui permet des labours plus profonds que la houe, donne la possibilité de cultiver les mêmes terres, à deux conditions : que les apports (fumure organique et engrais de synthèse) soit suffisants et qu’un système d’assolement (sur deux ou trois ans, avec éventuellement une jachère courte) soit rigoureusement observé.

L’usage de la charrue et du multiculteur requiert une organisation physique de l’espace du champ régulière, comme l’a observé Danielle Jonckers plus au sud de la zone cotonnière :

‘L’intervention de la CMDT entraîne des modifications du paysage. Les moniteurs cotonniers incitent les paysans à donner des formes géométriques à leurs champs de façon à pouvoir les mesurer et évaluer plus correctement les doses d’engrais à épandre. Ils préconisent le semis en ligne indispensable à la pratique de la culture attelée (JONCKERS, D. 1987 : 185).’

Des normes techniques de semis sont imposées (80 cm entre les lignes de semis et 40 cm entre les « poquets », trous dans lesquels on sème). Le respect de ces normes repose sur la formation des agriculteurs, comme le souligne un document technique de septembre 1971 qui établit un lien fort entre l’alphabétisation et la modernisation de l’activité agricole (Ministère de l’Éducation Nationale, 1971). Il s’agit d’une brochure en français intitulée L’alphabétisation fonctionnelle dans le développement économique. A la page 4, on lit « Etre un cultivateur soucieux du progrès, c’est … [suit la photo d’un champ où une corde est tirée entre les deux extrémités] … semer en lignes mil et coton au lieu de semer de façon traditionnelle ». Plus loin, à propos de l’Opération Arachide, il est écrit que « Avant (…), le paysan (…) : cultivait à la daba, défrichait simplement son terrain, semait en désordre (…). Maintenant, il sème en ligne et à intervalles réguliers, ce qui lui permettra de sarcler au multiculteur [suit la légende d’un schéma où figurent les mesures des écarts à respecter] ». Il semble ici que la bonne tenue des champs soit évaluée sur le modèle de la bonne tenue d’un cahier, en une projection de l’espace graphique sur celui du champ.

Le respect des normes de semis fait en tout cas intervenir un savoir scriptural s’il en est, celui de la mesure, que nous étudierons en détail plus loin (cf. infra 0). Notons dès maintenant que l’espace agricole dans son ensemble est soumis à des procédés de mesure. S’il n’y a pas de cadastre qui recense et cartographie les propriétés 306 , les terres sont pour certaines « bornées », c’est-à-dire que des bornes y sont placées à intervalles réguliers (tous les 200 m). Demba Coulibaly se souvient d’avoir participé au « bornage » lors de sa formation à l’IRCT en 1972. Cette procédure a été mise en place on le voit à l’initiative de la CMDT.

De manière beaucoup plus systématique, chaque année, en début de campagne une équipe est chargée d’arpenter les terres agricoles de l’AV et d’en effectuer à nouveau le repérage et la mesure (« forosuma», mesure des champs). Ce travail technique est désigné sous le nom de « piquetage ». Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de l’observer directement faute d’être présente sur le terrain à cette période.

Nous pouvons nous reporter à la description qu’en donne Lassine Traoré :

LT Dɔ bε mεtirijuru kun minε, bon ni hakε min sumana, n’aw ye juru ɲε kelen kε, ikomi juru ye cinquante mètres ye quoi, ni aw bε taga tugun ka a da tugunni quoi, o la e bε i ta kε sεbεnni ye fo ka taa a « terminer », aw bε taa ten dɔɔnin dɔɔnin fo ka taa baara ban. Bon, ni baara banna o la, aw bε segin ka na ɲɔgɔn fara ɲɔgɔn kan, yirisuma kɔrɔ (trad. de l’interprète omise).’ ‘ Traduction : ’ ‘ LTL’un attrape le bout du mètre, bon quand la mesure est prise, si vous avez fait la longueur d’une corde, comme la corde fait 50 mètres, si vous avancez à nouveau pour l’étendre encore, eh bien tu notes ta mesure jusqu’à ce que cela soit terminé. Vous y allez progressivement ainsi jusqu’à ce que le travail soit fini. Bon, le travail terminé, vous vous retrouvez pour mettre en commun les résultats, à l’ombre d’un arbre (trad. de l’interprète omise), K 41.’

Ici l’écrit agricole est à proprement parler un écrit d’action au sens où il accompagne le déroulement de la tâche. Il s’agit probablement de notations très courtes, destinées à se remémorer le nombre de fois où la corde a été étendue, afin de disposer des mesures du champ qui permettent le calcul de sa superficie. La détermination de ces superficies est essentielle puisqu’elle sert de base à la fois aux estimations collectives des besoins en intrants et à la culture proprement dite par le producteur.

Nous voyons ici que l’encadrement de la CMDT peut s’entendre en un sens très concret de quadrillage de l’espace agricole afin de le rendre disponible à une connaissance technique et à une culture qui exige le respect de normes complexes.

Notes
306.

Comme le rappellent O. et C. Barrière dans leur enquête sur le droit foncier dans la région de la Boucle du Niger, « 1% des terres au Mali sont immatriculées (…), le reste est soumis au droit foncier traditionnel (appelé "coutumier" par le législateur national, qui reprend la terminologie coloniale) » (BARRIÈRE, O. & BARRIÈRE, C. 2002 : 213).