Une dynamique de formation

La « formation » comme lieu de socialisation à l’écrit

La diffusion de savoirs agricoles, techniques ou organisationnels, s’effectue pour une part dans le cadre formel de « formations ». Nous allons montrer ici la prégnance de cette forme d’apprentissage destinée à des adultes. Si la CMDT est la principale institution qui met en place de telles formations, cette forme est également développée par d’autres intervenants extérieurs au village, qu’il s’agisse de l’Etat (formation destinée aux instituteurs de sensibilisation aux MST, observée à Kina en février 2003 ; formation des parents membres de l’APE, à Balan, citée en K 48), des organismes de crédit paysan (formation de la BNDA à Konobougou, citée en K 34) ou d’ONG diverses. Ce mode de formation nous semble central dans la socialisation des scripteurs, ceci moins en raison des contenus transmis que de sa forme même.

En effet, ces formations durent souvent plusieurs jours, et ont la plupart du temps lieu à l’extérieur du village. Un ou plusieurs représentants du village sont désignés pour y aller. Les entretiens ne permettent pas d’établir avec précision les critères de sélection. Le fait d’être lettré est cependant un critère incontournable. La motivation des intéressés eux-mêmes varie selon qu’un dédommagement monétaire est consenti ou non, mais dans aucun cas cité la personne n’a fait état d’une contrainte.

Une formation consiste à assister pendant de longues heures à des cours, sous une forme très scolaire. Un cahier est le plus souvent fourni en début de formation, où sont reportées des notes qui sont en général recopiées du tableau, comme dans un cours. Nous verrons dans les cahiers « personnels » étudiés en 4ème partie que ces cahiers sont précieux pour les paysans, qui se servent souvent de l’espace laissé vierge à la suite des quelques pages copiées lors de la formation.

Ces formations sont désignées par le terme bambara de « kalan », étude, cours. Un de mes interprètes use du terme de « kalanmisεnin », petite étude mais il faut sans doute attribuer l’usage du préfixe de dérivation à valeur diminutive à son statut d’enseignant. Les emprunts au français « formation » ou « stage » sont aussi d’usage courant.

La fréquence des formations varie selon le statut social des individus. Les hommes alphabétisés dans les débuts de l’alphabétisation au village, et qui occupent des postes de responsabilité évoquent celles-ci comme incessantes. Ainsi Mamoutou Coulibaly se déclare incapable de les citer toutes de mémoire.

AM Et il a fait combien de formations comme ça ? Int. K’i ye formation joli kε ? MC A ka ca dε ! Tuma bεε an b’a la o, parce que an ye dɔ kε misidɔgɔtɔrɔya la, ka na AV k’a sira kan 308 , ka dɔ kε magasako la, ka na AV k’a sira kan, ka dɔ fana kε « bascule » yεrε faamuyalicogoya la, o fana AV k’a sira a kan, ka dɔ kε jumεn fana na ? (...) an ye formation dɔwεrε kε... an t’a to o ma parce que... (rire).’ ‘ Traduction : ’ ‘ AM Et il a fait combien de formations comme ça ? Int. Combien as-tu fait de formations ? MC Vraiment beaucoup ! On en a tout le temps, parce que on en a fait une sur les techniques vétérinaires bovines, puis on est revenu en informer l’AV, on en a fait une sur la gestion du magasin, puis on est revenu en informer l’AV, on en a aussi fait... sur le fonctionnement de la bascule 309 , puis toujours en informer l’AV, on en a fait sur quoi encore ? (...) on a fait une autre formation... si on s’arrêtait là, parce que... (rire) (K 1).’

Notons que d’autres villageois dont le statut de représentant du village est moins évident sont aussi amenés à effectuer des formations. C’est le cas des femmes, dont certaines ONG sollicitent la présence lors de formations. Maïmouna Touré a ainsi effectué une formation de 20 jours à Fana pour être animatrice, puis une autre à Bla (à 200 km du village) sous l’égide de l’ONG Vision mondiale.

Le Bilan annuel de formation produit par la CMDT pour la campagne 2001-2002 fait état d’un nombre impressionnant de modules de formation : certains sont destinés à tous les exploitants (dans ce cas, l’enseignement est assuré au village par le chef de ZAER : « appareils et normes de traitement phytosanitaire », « production de fumure organique »…31 au total), d’autres aux équipes techniques (« piquetage et maîtrise des superficies », « relevés statistiques »…16 au total), ou à certains responsables (« techniques bancaires » pour les responsables villageois par exemple, 14 au total). Ce bilan qui précise pour chacun de ces modules le pourcentage des villages qui, dans chaque région, sont concernés montre que toutes ces formations ne sont pas proposées partout. Cependant, une vingtaine d’entre elles sont assurées dans plus de 50 % des villages, ce qui montre l’importance de cette pratique.

Ainsi, les formations sont des lieux de socialisation importants. Socialisation professionnelle et lieu de rencontre de personnes extérieures aux réseaux de sociabilité familiaux et villageois, cette « forme » reprise par tous les intervenants extérieurs au village, et dont l’étude reste à faire, est aussi de façon massive un lieu de socialisation à l’écrit.

Notes
308.

Interprétation : « ka AV kε a sira kan », mettre l’AV sur cette voie, tenir au courant les gens de l’AV.

309.

Le pont-bascule qui sert à peser le coton.