Fixer l’état civil : un enjeu ancien

La question de l’état civil dans les colonies de l’Afrique Occidentale Française s’est posée dès que le pouvoir colonial s’est établi comme une administration.

Le processus d’identification est parfois pensé comme permettant de donner un statut de sujet à des hommes qui ne l’avaient pas. Dans sa Sociologie coloniale, Maunier considère l’état civil non seulement comme un outil nécessaire à l’administration des populations mais comme le moyen de forger une conscience de soi moderne : « C’est l’identité de l’individu que nous inventons dans les colonies » (MAUNIER, R. 1942 : 265). Ce juriste attribue une importance toute particulière à l’écrit (cf. par exemple son développement sur la codification et ses effets sociaux p. 113 sq.). Ignorant les processus d’individuation, dont nous avons signalé l’importance, et considérant de manière assez cavalière qu’avant la colonisation les relations s’établissaient de « groupe à groupe » et non « d’individu à individu », il met en exergue le rôle de l’état civil.

‘Tel est le progrès qu’apporte l’Etat : ouvrir des archives garnies de registres, pour compter les gens et garder les droits ; marquer sur le papier comme autrefois sur la brique et l’étoffe, les filiations et les situations ; identifier, déterminer hommes et biens : changement radical parmi les habitants, même très avancés des pays d’outre-mer. Entre autres effets, il ouvre carrière à l’individu, possesseurs de biens et sujets de droits (…). Définir, préciser, garantir, limiter, c’est, du même coup, personnaliser. L’Etat sauve ainsi les individus des communautés.’ ‘Et disons, dès lors : l’Etat en un sens, c’est l’Etat civil (op. cit. : 268-269) 317 .’

Malgré la limite que nous avons soulignée (il néglige les processus d’individuation précoloniaux), ce texte souligne une dimension essentielle du pouvoir colonial qui est d’instituer de nouvelles formes sociales de la subjectivité, et ce notamment par l’état civil.

Les modalités techniques de constitution de l’état civil se sont révélées complexes. La question de la fixation des noms et des prénoms est un premier obstacle de taille, comme le souligne dès 1945 P. Delmond (DELMOND, P. 1945). Nous y reviendrons dans la section suivante. Plus largement, les processus d’inscription sur des registres sont défaillants. Dans un article de 1956, Decottignies dresse le constat de l’échec des politiques successivement mises en œuvre en A.O.F en la matière (DECOTTIGNIES, R. 1955). Il signale que le recours aux jugements supplétifs constitue la manière de pallier le défaut de déclarations systématiques. On doit souligner que 50 ans plus tard, cette procédure est toujours très massivement utilisée, montrant que la question de l’état civil est loin d’être résolue.

Notes
317.

Ce passage est cité par E. Gérard dans La tentation du savoir en Afrique (GÉRARD, É. 1997a). Les italiques sont de Maunier.