2.3.2.2. Enjeux de l’identification

Le besoin d’une identification des individus est lié de manière évidente depuis la période colonial au souci de percevoir l’impôt. Un autre enjeu important est celui de l’établissement de listes électorales. Il est apparu dès la fin de la période coloniale mais est devenu central avec l’Indépendance et surtout le processus de démocratisation que connaît le pays depuis 1991.

Concernant la France, l’obligation de prouver son identité civile à l’aide d’un document officiel a été instituée au terme d’une histoire longue 322 . Dès le XVIIIe siècle, des techniques d’identification reposant sur des savoirs écrits sont mises en place. La « carte d’identité » proprement dite ne voit cependant le jour qu’au XXe siècle : elle est d’abord mise en place en 1921 dans le département de la Seine, avant que le régime de Vichy n’instaure son caractère obligatoire.

Dans l’A.O.F, un ensemble de titres administratifs a été progressivement mis en place (carte d’identité, livret de travail notamment). Decottignies rapporte que « la loi du 5 octobre 1946 fait de la détention d’un carnet de travail, d’un permis de conduire et même d’un permis de chasse une des conditions de l’exercice du droit de vote (…), dispositions [qui s’expliquent] par la nécessité d’individualiser les électeurs dans un pays où l’état civil n’est pas parfaitement organisé » (DECOTTIGNIES, R. 1955 : 59).

Concernant le vote, qui est toujours la seule occasion où est requise de manière généralisée la présentation d’une pièce d’identité officielle, il faut souligner que des dispositions législatives existent pour contourner cette nécessité. La loi actuelle (loi n° 04-012 du 30/01/2004 portant modification de la loi électorale, art. 81) précise : « à son entrée dans le bureau de vote, l’électeur fait constater son identité par sa carte d’électeur et une pièce d’identité officielle ou le témoignage de deux électeurs inscrits sur la liste d’émargement du bureau et en possession de leur pièce d’identité » 323 . On comprend la possibilité ouverte de pallier l’absence de document d’identité par des témoignages oraux dans un pays où la possession d’une carte d’identité reste rare. Exiger cette pièce reviendrait à exclure une grande partie des populations du processus de vote 324 . Or l’instauration d’une démocratie qui respecte au moins formellement le principe de l’expression populaire est au cœur de la « bonne gouvernance » requise par les institutions internationales et mise en avant par le Mali.

Sur notre terrain, on constate que seuls les villageois qui ont eu à voyager hors des frontières du pays disposent d’une pièce d’identité officielle.

Nous avons évoqué plus haut les différentes évaluations chiffrées du nombre d’habitants (cf. Encadré 2, 1ère partie). A cette occasion, nous avons indiqué les différents recensements auquel les villageois ont été soumis dans une période récente. Depuis 1996, deux recensements officiels ont été menés (en 1996, un recensement administratif ; en 2002, un nouveau recensement national pour établir les listes électorales) ; chaque année, les chefs de famille réunis par l’agent de la CMDT doivent détailler la composition de leur famille ; enfin, deux recensements d’étudiants-chercheurs (dont le mien) ont été conduit.

Sans doute tous les villages ne sont pas soumis à des recensements aussi réguliers. Cependant, on doit noter qu’il s’agit de procédures scripturales auxquelles les populations rurales sont habituées, comme autant d’occasions où il faut décliner son identité civile (noms et prénoms, date de naissance, lien de filiation), dans des procédures liées en amont à des dispositifs scripturaux, et qui débouchent sur l’établissement de nouveaux documents.

La population est recensée, on l’a vu, famille par famille. De quelle unité s’agit-il ici ?

Notes
322.

Nous nous référons aux travaux réunis dans le dossier de la revue Genèses intitulé Vos papiers ! (2004).

323.

Le portail http://droit.francophonie.org/ donne accès à un ensemble important de textes juridiques de la République du Mali (consulté le 01/05/2006).

324.

L’une des ONG qui observe la vie politique malienne, la Fondation Friedrich Ebert, avance le chiffre de 30 % de la population malienne disposant d’une carte d’identité, statistique dont la source n’est pas donnée

(cf . http://mali.fes-international.de/Programmes/democrat.html , consulté le 01/05/2006)