2.3.2.3. La concession, la famille, l’exploitation : quelle unité pertinente ?

Définitions

La première échelle à considérer, est celle, physiquement marquée dans l’habitat villageois, de la concession (du), unité de résidence. Cet espace est isolé du reste du village par un mur à hauteur d’épaule qui le ceint. L’entrée principale est constituée par une petite case dite « vestibule » (bulon). Cette unité de résidence associe un ensemble de foyers (« gwa», foyer, litt. cuisine) qui réunissent un homme, ses épouses et ses enfants ; ces chefs de famille (gwatigi) sont apparentés selon un principe de filiation patrilinéaire. Deux règles rendent compte de l’organisation de la concession : une règle d’aînesse, qui fait de l’aîné des frères de la génération la plus âgée le « chef » de la concession (dutigi) ; une règle de résidence patrilocale et virilocale, qui fait que la structure est celle des liens de parenté entre hommes, les filles de la famille partant vivre chez leurs maris. Dans le village de Kina, on a le plus souvent trois générations : celle du chef de concession, un homme et ses frères cadets, qui sont chacun chefs de famille ; celle de leurs enfants, dont ceux qui en ont l’âge ont eux-mêmes constitué des foyers, devenant aussi chefs de famille ; celle des petits-enfants, garçons et filles non encore mariées. Plus la concession est importante, plus les générations se chevauchent. Certaines concessions du village de Kina sont plus importantes, comprenant jusqu’à quatre générations. D’autres sont réduites à deux générations, dans les cas où la scission du groupe familial en plusieurs exploitations a abouti à une séparation physique.

L’exploitation est l’unité de production économique, reconnue par la CMDT, qui coïncide en général avec la famille reconnue civilement par le carnet de famille. Elle est souvent plus réduite que la concession, comprenant parfois un seul foyer. Ici, l’individualisation des rapports sociaux renvoie concrètement au processus de segmentation des unités résidentielles (concessions) en unités économiques. Notons que même au sein d’une grande famille dont l’unité économique se maintient à l’échelle de la concession, une autonomie relative est concédée aux différents chefs de foyer, matérialisée justement par la cuisine et un grenier propres. Mais dans ce système, les frères cadets restent largement sous la domination effective de l’aîné. Aussi, nombreux sont ceux qui décident de prendre une indépendance plus grande en constituant une exploitation séparée. Ce phénomène a été bien décrit par Danielle Jonckers à propos des populations minyanka, dans la partie centrale de la zone cotonnière située autour de Koutiala (JONCKERS, D. 1987 : 195-202). L’intérêt principal pour les hommes qui deviennent ainsi chefs de familles est de garder pour eux-mêmes les revenus du coton produit par leur propre famille.

Les différentes échelles de l’unité « familiale » ou « domestique » coexistent dans des articulations singulières, comme le montre l’exemple de la concession du chef de village où je logeais. Celle-ci est connue au village sous le nom de Lajila, qui renvoie à un ancêtre important (grand-père de l’actuel chef de concession, également chef traditionnel du village, qui doit son surnom de Laji au fait qu’il a accompli le pèlerinage à La Mecque, fait rare pour sa génération). Cette unité de résidence est dans ce cas une unité sociale. Par exemple, lors de cérémonies dans le village, une délégation des hommes ou des femmes de cette grande famille est constituée. Des réunions fréquentes des chefs de famille de toute cette concession attestent de l’existence d’une solidarité familiale à cette échelle. Elle comprend néanmoins deux exploitations distinctes, celle des descendants directs du chef de concession, et celle des descendants de son frère aîné décédé, qui sont reconnues au niveau de la mairie comme deux familles distinctes disposant chacune d’un carnet de famille propre.