2.3.3. Ecrire des lettres

Correspondre est un acte d’écriture qui relève du registre des pratiques de l’écrit ici étudié, entre public et privé, comme le rappelle Roger Chartier dans son introduction à l’ouvrage collectif La correspondance : « Libre et codifiée, intime et publique, tendue entre le secret et la sociabilité, la lettre, mieux qu’aucune autre expression, associe le lien social et la subjectivité » (CHARTIER, R. 1991 : 9).

Ce constat vaut pour notre terrain. Si adresser une lettre suppose au moins une interaction, celle distante entre un expéditeur et un destinataire, à celle-ci se greffent souvent d’autres relations directes. D’une part, dans un contexte où le recours à la poste est rare, la lettre parvient au destinataire par l’intermédiaire d’une ou plusieurs personnes. D’autre part, la délégation de l’écriture épistolaire, courante, introduit d’autres médiations, de l’expéditeur au scripteur et du lecteur au destinataire. Cependant, le caractère confidentiel généralement revendiqué pour le courrier implique que ces relations soient contrôlées au mieux par les uns et les autres, le privé ici se définissant comme une interaction maîtrisée entre personnes choisies.

Nous allons travailler ici essentiellement à partir des entretiens. En effet, la pratique de la lettre est omniprésente dans les déclarations des enquêtés mais nous ne l’avons que peu observée, et encore moins documentée, les lettres étant quasiment absentes de notre corpus. Nous allons aborder la pratique de la lettre par une réflexion sur cet écart, en le rapportant au dispositif d’enquête et aux usages sociaux de la lettre.