Le courrier à la radio : communiqués, dédicaces, jeux

Avant de poursuivre l’analyse des déclarations concernant les lettres, il nous faut revenir sur ce type particulier de courrier qu’est celui qui est adressé à la radio.

Nous avons effectué en mars 2003 le dépouillement du courrier reçu au siège de la radio Kolombada, située à Fana et dont le rayon d’émission est d’environ 100 km. Ici, l’échelle change, puisque si quelques courriers envoyés de Kina ont été observés, la plupart viennent d’ailleurs. Cependant, ces observations nous semblent importantes pour appréhender la diversité des informations diffusées par cette radio (la seule captée et écoutée à Kina). Le courrier reçu du 11/01/2003 au 13/03/2003 a été examiné, les 10 premières liasses journalières ayant fait l’objet d’un décompte rigoureux concernant le sujet et la langue d’écriture.

Ce décompte fait apparaître l’avis de décès comme genre dominant (88 avis de décès - intitulés ainsi en français et en bambara : « fatulisεbεn », « banisεbεn » - sur 135 communiqués diffusés) 335 . Les autres genres repérables sont l’« avis de perte », également titré ainsi, en français ou en bambara (« tununsεbεn »), qui concerne en général des bêtes égarées, plus rarement des objets 336 . La convocation à des réunions apparaît également, souvent pour le compte de la CMDT, mais aussi dans un cadre administratif ou associatif. Des informations diverses sont aussi diffusées (prêches, campagnes de vaccination, tirage de tombola, soirée dansante, match de foot…).

Concernant la langue des textes, le français domine largement (125 des 135 documents dépouillés). Il faut préciser ici que deux modes de diffusion existent : soit l’information est transmise à la radio par écrit, soit une personne se déplace et fait écrire sur place par le régisseur l’information à diffuser. Celui-ci « lit » ensuite ces écrits durant des plages horaires consacrées à la diffusion de ces communiqués, toujours en bambara. Ce service est payant, le tarif variant notamment selon le nombre des diffusions demandées. Le déséquilibre d’écriture en faveur du français tient dans notre cas aux habitudes d’écriture du régisseur. S’il lit visiblement sans difficultés le bambara comme le français, il a le réflexe d’écrire en français 337 des textes qu’il « lit » en les traduisant simultanément, en bambara à l’antenne. Nous observons là un phénomène généralisé concernant les diffusions radio-télévisées d’informations en bambara, dont les supports écrits sont très souvent en français, comme l’a montré Gérard Dumestre dans son enquête sur la presse orale (DUMESTRE, G. 1994b).

Cette brève présentation du contenu des courriers indique qu’il s’agit exclusivement de communiqués d’information. Le régisseur nous a précisé que des émissions donnaient lieu à un courrier des auditeurs proprement dit, mais qu’elles ne sont plus diffusées. Notons ici que cette pratique est attestée dans d’autres radios 338 .

Les scripteurs de Kina font régulièrement référence à cette pratique de l’écrit à la radio, le plus souvent à propos des communiqués de décès, mais également dans des usages plus ludiques dont le corpus dépouillé ne rend pas compte. Ainsi, Djibril Traoré évoque une réponse envoyée à un jeu-questions (sur le football, K 45). Cette pratique est loin d’être anodine, car plusieurs enquêtés ont justifié le fait de prendre note des résultats sportifs par l’éventualité d’une telle demande à la radio. Une autre pratique couramment attestée est celle des demandes de dédicaces, telle qu’évoquée plus haut dans l’extrait d’entretien avec Lassine Traoré (K 41). Ici encore, cette pratique s’insère dans un tissu de pratiques de l’écrit qui excèdent cet usage singulier : on note les titres de chansons pour pouvoir demander une dédicace, mais aussi se faire établir une compilation pirate sur une cassette à Fana par exemple.

Quelle que soit l’importance de ces pratiques, nous avons relevé, dans les extraits d’entretiens cités plus haut l’hésitation des enquêtés à en faire des exemples de « lettres ». Revenons maintenant aux lettres proprement dites, à propos desquelles nous nous poserons ici deux questions : celle de la langue d’écriture des lettres, et celle des modalités de la délégation, deux questions liées entre elles comme nous allons le voir.

Notes
335.

Nous proposons plus loin une analyse d’un de ces communiqués dans la partie consacrée aux usages de la liste nominale (cf. supra 2.4.2.3).

336.

Un « avis de perte », ainsi titré, est même diffusé pour signaler la recherche d’un individu, un manœuvre dont il est précisé qu’ « il n’a pas tellement les esprits tranquilles » !

337.

Les marqueurs graphiques de la mise à distance des mots perçus comme étrangers (bambara et arabe) sont d’ailleurs très fortement présents : guillemets et parenthèses, dont nous développerons l’étude, dans cet usage, en 3ème partie.

338.

Mon attention a été attirée sur ce point par Cécile Van den Avenne, qui a recueilli un corpus de lettres à la radio Jamana de Mopti qui comporte des textes où des villageois s’expriment sur des sujets de société. Le champ d’études des usages plurilingues de l’écrit associés aux radios locales reste à explorer.