On peut indiquer d’emblée que la distinction entre usages « magiques » et « médicinaux » ne va pas de soi dans les textes observés. Prenons par exemple la première recette qui figure sur le cahier de Laji Traoré, dont voici le texte en orthographe rétablie.
‘Musow ka tin fura Koroninfin ladɔn ni -’ ‘forokofaraka, k’a foroki, k’a ja, a bε kε ji goni na.’ ‘ Traduction : ’ ‘Médicament pour la douleur d’enfantement des femmes : le gui du « koro des berges » 391 et’ ‘la plante « forokofaraka 392 », retirer son écorce, la sécher, on la met dans l’eau bouillante.’Nous donnons un aperçu plus large de la première page du cahier, où se trouve la recette que nous analysons. Celle-ci correspond aux deux lignes du point « II ».
Nous avons là une recette médicinale en bonne et due forme : indication thérapeutique (douleur des parturientes), description du médicament par l’énoncé des deux ingrédients entrant dans la composition du remède et du mode de préparation. Le remède est du reste nommé comme tel dans le titre (fura).Cependant, la lecture du texte bambara permet de repérer une assonance notable « forokofarakak’aforoki », qui suggère que l’expression a une valeur en tant que formule. La valeur sonore de ce fragment tient d’une part à la forme du terme « forokofaraka », nom de plante, caractéristique d’un ensemble d’éléments idéophoniques du bambara que Gérard Dumestre analyse comme relevant d’un champ notionnel commun autour de la notion de mouvement latéral (ici il s’agit d’une plante rampante) (DUMESTRE, G. 2003 : 301). Cette assonance liée à un élément du lexique est prolongée par le verbe qui suit, « k’aforoki », écorcher, enlever la peau.
Nous ne pouvons ici qu’indiquer deux hypothèses : soit il s’agit d’une formule (ou d’un passage conservé d’une formule) dont la profération intervient durant la confection du remède ; soit la valeur sonore détient une fonction mnémotechnique. Nous ne disposons pas de données permettant d’appuyer l’une ou l’autre de ces hypothèses, qui engagent à un travail conjoint sur les mémoires orale et écrite. Cet exemple, parmi d’autres, permet néanmoins déjà de souligner que du côté des recettes on peut relever une attention au style qui en fait plus que des modes d’emploi.
On peut noter, par ailleurs, que les formules sont parfois intégrées à des écrits où figurent des indications d’usage qui font appel à des plantes médicinales. Ainsi, dans le cahier de Demba Coulibaly (Annexe 6, cahier 3, p. 8), une formule est associée à un arbre dont il faut utiliser les feuilles de manière différenciée selon que le patient est un homme ou une femme (selon une association, classique dans l’aire culturelle mandingue, de l’homme au chiffre 3 et de la femme au chiffre 4) 393 . Le lien entre la formule et l’indication médicinale n’est pas davantage précisé, mais il est clair que la réussite de l’entreprise dépend de l’usage conjoint de la formule et de la plante.
Ainsi, on peut souligner d’emblée que recettes et formules n’apparaissent pas dans notre corpus comme deux genres aussi aisés à distinguer que ne le suggèrent les usages de la langue et les catégories de description du chercheur. Il reste à poursuivre l’analyse en se demandant si les traits associés à l’un et à l’autre genre sont effectivement repérables.
Vitex chrysocarpa (B.).
Ipomoea aquatica, plante rampante (G. Dumestre, communication personnelle).
On trouve toutefois dans certains groupes, comme les Mende de Sierra Leone, l’association inverse. Sur les couples de nombres associés à l’homme et à la femme en Afrique de l’Ouest, on peut se reporter à la synthèse de B. Bril (BRIL, B. 1979).