Des contextes d’usage multiples

Sur notre terrain, différents contextes d’usages apparaissent : l’école, où s’impose la signature manuscrite ; d’autres lieux où le choix est laissé, au moins, théoriquement, à l’individu entre ces deux modes de signature. Nous nous appuyons ici sur des extraits d’entretiens et des observations.

A l’école fondamentale, les enfants apprennent à signer dans une perspective précise qui est celle de l’examen de fin de cycle. L’apposition d’une signature manuscrite identique lors de chaque épreuve est indispensable. Djibril Traoré déclare même qu’il n’a pas eu son examen la première fois parce qu’il s’est « trompé » de signature :

DT (à propos de l’examen de fin de premier cycle) Bon ! a siɲε fɔlɔ a gεlεyara ne bolo, bon par les signatures. Int. Mmm ? (incompréhension). DT Ne trompera signature o de la, ne yεrε fε. (...) AM Est-ce qu’il peut m’expliquer cette confusion des signatures ? Int. Voilà ! i ka/ o yɔrɔ in, examen na, ko i ye gεlεya min sɔrɔ, o tun ye jumεn ye ? DT Bon ! ne ye o de fɔ, examen na, n ye gεlεya min sɔrɔ, o ye signature ye. Int. I b’a ɲεfɔ quoi. DT Dans la dictée, o signature, sisan, i n’a fɔ, histoire-géo nalen, ne ye signature wεrε ta donc o ma kε signature kelen ye quoi.’ ‘ Traduction : ’ ‘ DT (à propos de l’examen de fin de premier cycle) Bon ! la première fois j’ai rencontré une difficulté, bon par les signatures. Int. Mmm ? (incompréhension). DTJe me suis moi-même trompé de signature à cette occasion. (...) AM Est-ce qu’il peut m’expliquer cette confusion des signatures ? Int. Voilà ! ce point là, la difficulté que tu dis avoir rencontrée à l’examen, de quoi s’agit-il ? DT Bon ! je l’ai déjà dit, à l’examen, le problème que j’ai rencontré est celui de lasignature. Int. Il faut nous expliquer quoi. DT Dans la dictée, j’ai apposé une signature, eh bien, pour l’histoire-géo, j’ai apposé une autre signature, donc les signatures n’ont pas été identiques quoi (K 45).’

Quelle que soit l’exactitude de cette anecdote, le fait que l’échec à l’examen puisse être imputé à une erreur sur les signatures prouve l’importance de cet acte. Il est appris à l’école, et tout au long de l’année de 6ème, les élèves ont des occasions de s’y exercer, notamment lors des compositions, où le bordereau imprimé qui est à remplir lors des examens est recopié, et la signature apposée.

Parmi les femmes qui ne signent pas faute d’en avoir l’occasion, deux mentionnent l’examen scolaire comme dernière et unique occurrence de la signature (Diouma Konaté, K 12 ; Korotoumou Coulibaly, K 22).

Dans ce contexte scolaire, la signature manuscrite est donc exigée. Le moment de l’examen est celui de la convergence d’écrits scolaires et administratifs, puisque à cette occasion un extrait d’acte de naissance est requis, ce qui conduit la plupart du temps à déclarer les enfants qui bien souvent ne l’ont pas été. Lors de mes observations à l’école de Kina en février-mars 2003, j’ai constaté que ces formalités donnent lieu à une série d’actes particuliers : les enfants sont pris en photo par un photographe qui passe à l’école pour tirer leurs premières photos d’identité ; les parents, mais aussi souvent le directeur d’école et l’instituteur en charge de la classe de 6ème, se déplacent à la mairie, voire à la préfecture s’il faut déclarer l’enfant en effectuant un jugement supplétif ; toutes ces démarches sont coûteuses. Dans ce contexte, l’apprentissage de la signature et son apposition les jours d’examen sont parties prenantes d’un processus qui est un rite de passage (rappelons que l’examen s’il est obtenu permet de poursuivre sa scolarité en ville, à Fana).

Hormis ce contexte singulier, les contextes observables au village laissent le choix du mode de signature.

Dans le cas du vote, les textes stipulent ce choix possible : « L’électeur signe ou appose son empreinte digitale sur la liste d’émargement en face de son nom. Un assesseur émarge la carte d’électeur après y avoir porté la date du scrutin et la mention "a voté" et veille au trempage de l’index gauche de l’électeur dans l’encre indélébile » (loi 00-058 du 30 août 2000 portant loi électorale, article 81). Ici, l’encre fonctionne comme marquage de l’individu, pour éviter les fraudes par votes multiples (ce qui donne lieu à des contestations, l’encre dite « indélébile » étant souvent soupçonnée d’être frelatée). Dans la formulation, relevons que le terme de « signer » renvoie exclusivement à la signature écrite, l’apposition de l’empreinte digitale représentant une alternative à la signature ainsi définie.

De même, les banques paysannes (BNDA et Kafo Jigin ε w) laissent à leur sociétaire le choix entre l’empreinte et la signature manuscrite. Les documents de la CMDT, et notamment le reçu donné au producteur au moment du paiement, peuvent également être signés par les producteurs par la signature manuscrite ou par l’apposition de l’empreinte.

Avant de poursuivre l’enquête en se demandant comment s’opère le choix entre l’une ou l’autre des modalités de la signature, deux mises au point méthodologiques s’imposent.