Le risque d’« imposition de problématique »

Le principal problème rencontré lors des entretiens, outre les pièges du vocabulaire, est lié à la question elle-même. Rappelons que la partie des entretiens consacrée aux usages de l’écrit est assez directive puisqu’il s’agit d’explorer l’éventail des pratiques possibles sans s’en tenir aux usages spontanément évoqués (cf. Annexe 1). Après un moment où l’enquêté est libre d’évoquer ses activités d’écriture, et qui tourne souvent court après la mention des lettres et des pratiques professionnelles, j’oriente la discussion autour de pratiques particulières, et notamment la signature. La première question posée est à peu près : « Est-ce que vous signez plutôt par écrit ou par l’apposition de l’empreinte digitale ? », avec une relance prévue autour des usages de cette signature. Or, l’enquête a montré que certaines personnes, notamment les femmes, n’ont tout simplement aucun usage possible de la signature (à l’exception peut-être du vote). Dès lors la première question n’a pas grand sens, et peut amener à répondre de manières diverses mais qui ne renvoient à aucun usage. Il s’agit là d’un cas d’ « imposition de problématique » au sens où le contexte de l’entretien amène l’enquêté à répondre à une question (avoir ou pas une signature) qui n’a tout simplement pas de sens.

Malgré l’ambiguïté de cette question, plusieurs femmes m’ont précisé qu’elles n’usent ni de signature écrite, ni d’empreinte digitale. Quelques-unes ont rapporté cet usage à un moment passé : l’école (K 12, K 22, déjà citées) ; un usage professionnel (K 11, Salimata Traoré, au moment où elle assurait pour le compte d’une ONG la vente de médicaments et de contraceptifs). Contrairement à certains villages visités lors du premier séjour en 2001, aucun programme de micro-crédit féminin n’est en place à Kina, ce qui limite les occasions de signer.