S’affirmer comme lettré

Au-delà des dimensions d’apprentissage et de jeu, l’usage principal de la signature dans ces écrits apparaît cependant lié à l’affirmation de soi comme lettré. Nous retrouvons là le point établi grâce aux entretiens concernant la fonction de distinction sociale de la signature.

Ici encore nous développons cette hypothèse en partant d’un cas exemplaire mais isolé, parce qu’il nous semble que ce cas met en exergue une attitude partagée.

Il s’agit de la notation des éléments d’un « contrat » entre Demba Coulibaly et le pasteur à qui il confie ses troupeaux (cf. Annexe 6, cahier 3, p. 10). Sont mentionnés le nom du pasteur, les dates de début et de fin (cette dernière visiblement ajoutée ultérieurement), en français puis en bambara, et le salaire convenu. Suit l’écriture du nom propre « Demba C. » puis la signature. Quel est ici le sens de la signature ? On pourrait supposer qu’il s’agit de donner à cet écrit un poids dans une éventuelle contestation. Cependant, deux indices laissent penser qu’il n’en est rien : il n’y a pas de signature des deux parties ; l’abréviation du nom propre trahit l’absence de caractère officiel du contexte. Dès lors, la signature ici prend son sens comme affirmation par Demba Coulibaly de sa maîtrise de la forme écrite du contrat, et épreuve de sa supériorité face au pasteur non lettré.

Signer, même par jeu, est ainsi toujours s’affirmer comme lettré. A cet égard, notons qu’aucune empreinte digitale n’est apposée dans les cahiers, ce qui étant donné le statut secondaire assigné à l’empreinte n’est pas surprenant. Mais au-delà de cette fonction distinctive qu’assume l’acte de signer, on peut envisager, et ce sera notre dernière hypothèse, que signatures et paraphes sont en même temps des traces qui fonctionnent comme des marques, contribuant à faire du cahier un espace à soi.