3.1.2. Des représentations partagées

Poser la question de savoir si l’on peut considérer le cahier personnel comme un genre suppose une clarification préalable de ce que l’on entend ici par genre. Comme nous l’avons fait précédemment, nous retenons comme définition générale du genre celle d’une forme d’expression historiquement et socialement constituée, en nous référant aux analyses de Bakhtine (cf. supra 2.1.4.2).

S’agissant d’un genre écrit et non littéraire, les conventions qui le constituent sont d’emblée à la fois sociales (usages, représentations) et discursives (formelles, thématiques, stylistiques…). Nous verrons qu’à ces deux dimensions s’ajoute celle, matérielle, du support.

La notion de convention désigne une norme socialement instituée. On peut s’inspirer de la typologie élaborée dans le domaine littéraire par Antoine Compagnon, qui distingue deux types de conventions textuelles :

‘1. celles du sonnet ou de la tragédie classique, qui sont des prescriptions fixes et explicites, des conventions régulatrices, dont le non-respect n’interdit pas la compréhension de l’œuvre ;’ ‘2. celles du roman d’apprentissage ou de la fable, qui sont des relations de modélisation directe entre des œuvres individuelles (des relations hypertextuelles suivant Genette), et qu’on peut appeler des conventions de tradition. On est dans le domaine de l’air de famille 418 .’

Cette distinction peut être utilement rapportée au contexte qui est le nôtre. Envisager le cahier comme un genre nous invite en effet à explorer à la fois la manière dont les cahiers se conforment plus ou moins à des modèles (celui du cahier scolaire pour l’ensemble du cahier, ceux dégagés dans la 2ème partie pour les différents types discursifs que l’on observe dans les cahiers), et la façon dont on peut rendre compte de la tenue d’un cahier comme d’une habitude partagée, qui leur donne effectivement un « air de famille » 419 . Dans ce dernier cas, il faudra se demander s’il s’agit d’intertextualité, comme le propose A. Compagnon dans le domaine littéraire, et en quel sens : si chez un même scripteur on peut repérer des pratiques de copie d’un cahier à l’autre, la copie de cahiers écrits par d’autres n’est pas habituelle ; cependant, les cahiers puisent à des sources communes (imprimées notamment).

Nous allons nous demander si le cahier est un genre en considérant les deux niveaux d’analyse suivants : premièrement, du côté des représentations et des usages, le cahier personnel est-il sur notre terrain un objet aisément identifiable, connu de tous, ou du moins de certains ? Deuxièmement, l’examen du contenu des cahiers apporte-t-il une réponse à cette question du genre ?

Notes
418.

Théorie de la littérature : cours d’Antoine Compagnon, Université de Paris IV-Sorbonne, en ligne sur le site http://www.fabula.org/compagnon/, consulté le 26/05/2006.

419.

La reprise de cette expression à Wittgenstein n’est pas une manière commode de clore l’analyse mais engage à une description des traits partagés qui permettent de considérer le cahier comme un genre.