3.1.3. La proximité des contenus

Si dans un premier temps, comme nous l’avons vu sur la double page présentée en ouverture de cette partie, les cahiers semblent comporter des notations disparates, l’examen approfondi donne au contraire une impression de monotonie. Les notations des cahiers relèvent en effet d’un petit nombre de domaines communs.

3.1.3.1. Thèmes

Le Tableau 1 donne une idée des contenus.

Tableau 23 Description générale du corpus des cahiers

Il s’agit là d’une revue sommaire. Par exemple, nous avons souligné en 2ème partie qu’une frontière comme celle entre la religion et le domaine identifié comme magico-médicinal est poreuse. Nous verrons plus loin que le partage des langues est loin d’être évident (nous avons considéré ici qu’une langue figure dans un cahier si des énoncés dans cette langue apparaissent, les emprunts n’étant pas pris en compte, mais nous savons déjà que la mise en œuvre d’un tel partage est délicate). Par ailleurs, la rubrique « description thématique » fait intervenir des critères hétérogènes. Elle renvoie d’une part à des domaines thématiques (d’ampleur inégale), d’autre part à des contextes d’écriture (copie lors d’une formation, copie d’un livre). Ce tableau ne prétend donc pas proposer un classement définitif, mais a une visée opératoire, permettant de donner une vue d’ensemble du corpus.

Cette revue témoigne d’un certain éparpillement des thèmes abordés (le genre le plus fréquent, celui des comptes et crédits n’apparaît que dans 15 séries sur 38). Cependant, il faut souligner que tous les genres présents dans les cahiers sont signalés (moyennant la colonne « autres », où figurent quelques apax), ce qui montre la relative régularité des contenus. Ainsi, les écrits agricoles sont récurrents (12 cahiers), de même que les notations familiales (9 cahiers) et les formules et recettes magico-médicinales (10 cahiers). Une grande partie des cahiers comportent des notes prises lors d’une formation (13 cahiers). Enfin, quand on considère les cahiers un par un, en lisant ce tableau en lignes, on constate que la plupart des cahiers mêlent deux ou trois registres différents, et associent souvent plusieurs langues et graphies.

L’existence d’un modèle commun pourrait rendre compte de la récurrence de certains thèmes. Comme pour le calendrier (cf. infra 2.4.1.2), il nous semble pertinent de nous reporter aux pratiques des débuts de l’alphabétisation.

Le rapport de Bernard Dumont donne en effet un aperçu précis du matériel et des pratiques pédagogiques en vigueur à l’époque. Il évoque le genre du carnet d’exploitation, dont nous citons intégralement la description.

‘Voici un petit carnet à couverture cartonnée, de huit pages imprimées, contenant surtout des cases vides, avec seulement quelques titres en bambara au début des colonnes ou des lignes : c’est le carnet d’exploitation. Il a été conçu et réalisé à la suite d’une enquête faite auprès des cultivateurs de coton, au début du projet.’ ‘Deux questions ont été posées aux paysans alors illettrés :’ ‘- Que conservez-vous chez vous comme papier ?’ ‘et ’ ‘- Qu’aimeriez-vous écrire si vous saviez le faire ?’ ‘On s’est aperçu alors que, en dehors des papiers d’identité (jugement supplétif, carte d’état civil), les paysans conservent volontiers, même s’ils ne peuvent les lire eux-mêmes, les documents se rapportant aux résultats de leurs récoltes des années antérieures, notamment des tickets détachés des registres de l’opération de développement, témoignant des tonnages qu’ils ont récoltés et des sommes qu’ils ont retirées de la vente de cette récolte.’ ‘Or, leurs voeux étaient en parfaite harmonie avec leur comportement : ils souhaitaient tous, s’ils savaient écrire, pouvoir conserver les informations se rapportant à leur activité d’exploitant agricole.’ ‘C’est directement des informations ainsi recueillies que découle le ‘‘carnet d’exploitation’’, réalisé depuis 1969 : ses trois grandes divisions dans le sens de la hauteur, ses trois grandes "lignes" correspondent aux principales cultures pratiquées par un cultivateur de la zone du coton : coton, mil, et arachide ; les subdivisions prévues tiennent compte de la possibilité, pour le paysan, d’avoir plusieurs champs consacrés à la culture du même produit. Les colonnes, qui occupent toutes les pages du carnet, sont consacrées aux diverses caractéristiques ou opérations concernant chacun des champs : surface, date de semis, quantité de fumier ou d’engrais répandue, date des traitements par insecticide, quantité récoltée, rendement, dépenses d’exploitation. Les cours d’alphabétisation enseignent aux intéressés comment tenir ce carnet (DUMONT, B. 1973 : 10).’

Ce genre du carnet d’exploitation, support imprimé destiné à l’écriture manuscrite, est mentionné par les animateurs auprès desquels nous avons enquêté comme étant toujours diffusé. Pour notre part, nous n’avons pas eu l’occasion d’en observer sur le terrain (ni tenus ni vierges). Cependant, l’existence de ce type d’imprimé constitue un modèle possible de l’écriture des cahiers. Contrairement aux autres imprimés, il s’agit d’un modèle qui incite à l’écriture, qui propose des rubriques dont certaines sont reprises dans les cahiers. Notons que le titre de « carnet d’exploitation » n’apparaît pas dans notre corpus. Nous envisageons l’influence de ce modèle non comme un guide d’écriture qui serait suivi mais comme une forme d’écriture, pour la gestion de l’exploitation familiale, que certains scripteurs reprennent.