3.1.4. Le support

3.1.4.1. Enjeux

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la question du support dans la perspective qui est la nôtre d’une analyse sociologique attentive aux productions écrites. En effet, le support d’écriture n’est jamais neutre. Il ouvre un espace de possibilités pour l’écriture tant dans la disposition graphique, que dans les usages sociaux qui lui sont associés. Cependant, il ne conditionne pas pour autant l’écriture. En amont, même si dans une première approche les choix des supports apparaissent contingents et dictés par un souci d’économie, l’analyse permet de montrer qu’une marge de liberté demeure. En aval, une fois le support déterminé, les scripteurs se réservent des possibilités d’aménagement de celui-ci. L’histoire culturelle et sociale du livre a insisté sur cette dimension essentielle de l’analyse, dans la perspective ouverte par les travaux de Donald McKenzie (McKENZIE, D. F. 1991) et développée par Roger Chartier (CHARTIER, R. 2006).

Le cahier, en particulier, est l’aboutissement d’une histoire longue, liée à la transition majeure dans l’histoire occidentale du volumen (livre se déroulant sur des rouleaux) au codex (feuilles reliées), et dont Jean Hébrard retrace les grandes lignes dans son article « Tenir un journal. L’écriture personnelle et ses supports » (HÉBRARD, J. 1999). Sur notre terrain, les lettrés en arabe disposent de documents qui déploient toute une variété de supports (tablettes en bois, manuscrits sur papier et peau, cahiers, imprimés). Mais même dans ce cas d’une tradition lettrée ancienne, la question des conditions matérielles de l’écriture n’a fait l’objet d’aucune étude approfondie, comme le remarque Constant Hamès, qui souligne l’absence d’éléments historiques concernant la circulation du papier en Afrique (HAMÈS, C. 2002 : 174). Enquêtant auprès de scripteurs passés par l’école et l’alphabétisation, nous nous référons essentiellement aux usages scolaires du cahier manufacturé (en vigueur à l’école comme dans les cours d’alphabétisation pour adultes), mais la question de ce qui se transfère des cultures écrites plus anciennes (notamment islamique) aux habitudes actuelles reste ouverte.

Le cahier, objet manufacturé, est parfois transformé par le scripteur. Les cahiers de l’AV sont souvent découpés de manière à constituer une sorte de répertoire, dont la partie supérieure est visible à toutes les pages. Moussa Camara s’est découpé un carnet dans un cahier. Certaines pratiques montrent le soin attaché à l’entretien du cahier. Un des cahiers de Moussa Coulibaly est recousu au fil rouge. La reliure en tissu de soie et la couverture en papier qui le préserve contribuent à donner au cahier-livre de Ba Madou Sanogo un statut d’objet précieux comme nous le verrons dans la description détaillée que nous en donnons ci-dessous (cf. infra 0).