L’échelle du texte

Il faut souligner d’emblée que selon l’échelle considérée, les critères retenus et surtout la mise en œuvre des méthodes diffèrent.

Quelle est l’échelle d’analyse minimale ? Nous avons indiqué en travaillant sur la manière dont la liste constitue le format d’écriture des cahiers (3.1.3.2.) les ressources, graphiques ou discursives, qui permettent d’identifier des unités textuelles. A l’échelle d’une telle unité, quels sont les critères qui peuvent être mis en œuvre pour établir si une langue domine ?

L’idée selon laquelle on peut désigner une langue majoritaire renvoie à l’application du critère statistique qui à première vue peut sembler le plus simple. Mais des problèmes surgissent dès qu’on tente de l’appliquer. Tout d’abord faut-il compter des énoncés ou des mots ? Si l’on s’en tient au dénombrement des énoncés, le problème est simplement déplacé, car il faut faire intervenir un autre critère pour l’identification de la langue d’énoncés comprenant un code-switching intrasyntagmatique. Or le décompte des mots selon leur langue ne va pas de soi, car pour décider si un terme est un emprunt ou un cas de code-switching, il faut se référer à la syntaxe du texte. Même dans le cas de listes, comme celles de Moussa Coulibaly analysées en 2.4.2.2, le repérage de la langue matrice des différents items est ce qui permet dans certains cas de distinguer l’emprunt du code-switching. Nous avons montré que les listes constituées de séries de groupes nominaux peuvent être analysées en référence à leur syntaxe. Cette analyse permet de repérer que dans ces textes très mixtes, la langue matrice peut être le français ou le bambara.

Dans certains cas, ces critères peuvent se révéler insuffisants ou inapplicables. Dans le cahier de Demba que nous venons d’examiner, si l’on isole chacune des prières en arabe accompagnée des indications d’usage et du titre en français, on obtient des textes où, statistiquement, la langue de l’écrit qui domine est l’arabe. Si l’on tente de déterminer la langue matrice on se heurte à la difficulté qu’il ne s’agit pas de textes suivis. On ne peut donc pas analyser l’indication d’usage comme étant dans un rapport de subordination grammaticale à la prière. La langue matrice ne peut être identifiée car le passage du texte de la formule, en bambara ou en arabe, à l’indication d’usage en français ne s’opère pas dans un même cadre syntactique Au-delà de la syntaxe, l’organisation textuelle est à envisager pour comprendre ce qui se joue entre les langues. La considération du statut de mention de la formule permet d’identifier le français comme langue encadrante, structurant le texte. Nous passons ici du critère strictement grammatical à celui, pragmatique, de la valeur accordée à chacune des langues dans les pratiques qui jouent sur le contraste. Le français apparaît comme la langue qui encadre des citations en d’autres langues, et comme celle au sein de laquelle des mots ou expressions en bambara sont mis à distance.