Pour analyser la répartition à l’échelle d’un cahier, on peut procéder à des analyses partielles des langues des différentes unités textuelles qui y apparaissent, selon le modèle qui vient d’être indiqué. Dans le cas de textes très mixtes, qui rappellent les listes de courses de Moussa Coulibaly, on peut aussi tenter d’appliquer le critère de la langue matrice aux énoncés, afin d’opérer un décompte par énoncés. Nous avons suivi cette procédure dans le cahier de Makan, que nous présentons plus en détail dans le chapitre suivant dans l’étude du rapport au temps 0. Le tableau suivant résume cette analyse.
On observe que ce cahier n’est pas le lieu d’une mise en scène des rapports entre les langues telle que celle qui apparaît chez Madou Camara ou Demba Coulibaly. Makan Camara (GL 4, 7ème), peu sollicité pour écrire par la collectivité, a des pratiques de l’écrit limitées et où l’enjeu de distinction ne paraît pas central. Cependant, le bilan quantitatif qui ramène chaque énoncé à sa langue matrice (ou pour les énoncés non verbaux à la langue dont en est tiré le lexique) ne rend pas compte du mélange important des langues. Si l’on prend la page 3, qui comporte la traduction-transposition de dates, il nous semble que l’on ne peut caractériser cette pratique par un seul décompte, car cette forme d’écriture rend compte à la fois de la domination du français (comme langue première de l’énonciation) et de l’importance du bambara comme lieu d’une transposition possible dans un autre calendrier. Le mélange ne semble pas perçu par ce scripteur comme un problème.
Dans d’autres cahiers, l’enjeu pragmatique du choix d’une langue apparaît plus nettement. Parmi les pratiques qui permettent à un scripteur d’inscrire l’appartenance de son texte à une langue, on peut citer les titres et les intertitres. Ainsi, Moussa Coulibaly (GL 4, 6ème), intitule ses cahiers : « cahier de contrôle », « carnet de secrets ». Ces titres en français figurent sur la couverture et souvent sur la page de garde (Annexe 6, cahier 4, p. 1). Cette pratique renvoie à l’usage scolaire selon lequel tout cahier doit porter un nom, inscrit en ouverture. Ce procédé peut être considéré comme un indicateur du souci de Moussa de produire un écrit en français, même si l’examen du détail de ses productions révèle leur caractère mixte.
Enfin, dans certains cas, l’échelle pertinente est celle de l’ensemble des cahiers d’un scripteur, notamment dans le cas de Moussa Camara (GL 3, 7ème), qui dispose de trois cahiers monolingues (deux en bambara pour la famille et la collectivité, un en français pour lui). Le répertoire scriptural bilingue se traduit physiquement dans une séparation des supports selon les sphères concernées : bambara pour les sphères villageoise et domestique, français pour la sphère « à soi », où les données consignées concernent la famille au sens restreint. Sur ce dernier exemple 491 , même si le cahier personnel ne comporte qu’à peine plus d’une page (dont l’analyse détaillée suit en 0), on peut dire que dans une hiérarchie des langues selon le caractère plus ou moins personnel des notations, le français domine (alors qu’en termes quantitatifs, en se reportant au nombre de pages, cela n’est pas le cas).
Ces pages figurent en Annexe 6 (cahier 1).